L'événement
est de taille et on peut souhaiter qu'il remette un peu les pendules à
l'heure... Le parti social-démocrate d'Allemagne va fêter en grande pompe son
siècle et demi à Leipzig avec comme invité d'honneur, François Hollande, le
seul étranger à prendre la parole au cours de la cérémonie.
Si
certains à gauche y verront l'occasion de rappeler toutes les trahisons et
compromissions du SPD et à travers lui la faille des socialistes européens,
d'autres restitueront l'héritage et l'actualité de la social-démocratie dont le
SPD fut la figure de proue et dont il est un des représentants les plus
importants.
Le propre des démocraties avancées et des sociétés développées est l'amnésie. Ce que nous considérons aujourd'hui comme des acquis ne le fut pas toujours. Les réformes qui ont conduit à l'Etat social que nous défendons - services publics, protection sociale, systèmes de solidarité, sont le résultat de luttes, de combats acharnés menés pendant des décennies.
La social-démocratie allemande est née un avant la fondation de la Première internationale, organisée à l'initiative de deux Allemands, Karl Marx et Friedrich Engels.
Si la France fut le berceau de beaucoup de références du mouvement ouvrier international- de la Grande révolution de 1789 au drapeau rouge en passant par l'Internationale, composée pendant la Commune de Paris, c'est le mouvement ouvrier allemand qui a donné les textes fondamentaux et les cadres d'organisation décisifs. Bien sûr, le marxisme et ses interprétations et ses applications. Un grand parti pour organiser le travail politique, des syndicats pour organiser les ouvriers et toute une série de structures pour fonder une société nouvelle, faite d'entraide et de justice.
Il est intéressant de noter que l'organisation d'un puissant mouvement des travailleurs allemand s'est réalisée en amont de l'unité allemande. D'ailleurs Bismarck ne s'y est pas trompé quand il a promulgué toute une série de lois "socialistes", en réalité faites pour contrer le développement du SPD.
Les sociaux-démocrates allemands dominèrent idéologiquement la Deuxième internationale refondée à Paris en 1889. C'est sous leur pression que les cinq partis socialistes français se sont unifiés dans la SFIO. Mais s'ils donnèrent raison à Guesde contre Jaurès sur la question de la participation à des gouvernements bourgeois, eux-mêmes n'étaient pas aussi dogmatiques s'agissant de leur propre rapport à l'exercice du pouvoir politique.
L'échec devant la guerre conduisit à une crise dans le parti et à la scission des spartakistes. Le sort tragique de Rosa Luxemburg et Karl Liebknechkt restera une tâche indélébile, mais il faut aussi se souvenir de l'extrême violence de la confrontation entre frères ennemis du mouvement ouvrier... D'ailleurs, les années 20-30 allait montrer combien cela a aveuglé la gauche face à la montée des périls.
Paris, ville d’accueil
On se souvient du rôle déterminant joué par le PS dans l’accueil et la reconstruction des partis socialistes portugais ou espagnols, de l’aide apportée aux militants chiliens ou grecs dans les années 70. Avant cela, le SPD avait lui aussi pu se reconstruire en exil dans les années 30 après l’avènement d’Hitler.
Otto Wels qui fut le dernier démocrate à prendre la parole au Reichstag en 1933, était le président du SPD depuis la fin de la guerre. Tous les députés SPD d’alors votèrent contre les pleins pouvoirs à Hitler. Il faut restituer ici les dernières paroles d’un démocrate alors que la peste brune s’abattait sur le pays de Goethe :
« La paix violente ne donne rien de bon, et surtout pas à I’intérieur. Il n'est pas possible de fonder sur elle une véritable communauté du peuple. La condition première est l'égalité devant la loi. Le gouvernement peut se protéger contre les écarts révolutionnaires de la polémique ; il peut empêcher les incitations à la violence et les actes de violence eux-mêmes. Il peut le faire si son attitude est impartiale et la même pour tous, et s'il se refuse à traiter l'adversaire vaincu comme s'il était hors la loi.
On peut nous prendre la liberté et la vie, mais pas l'honneur.
Après la persécution que le parti social-démocrate a subie ces temps-ci, personne ne peut exiger ou attendre de lui qu'il vote les pleins pouvoirs... La critique est salutaire et nécessaire. Depuis qu'il y a un Reichstag allemand, le contrôle des affaires publiques par les représentants élus du peuple n'a jamais été réduit à un tel point. Cette toute-puissance du gouvernement aura des effets d'autant plus graves que la presse est privée de toute liberté d'expression.
Nous autres sociaux-démocrates, nous avons partagé la responsabilité du pouvoir aux heures les plus difficiles, et pour cela nous avons été lapidés. Nous avons instauré l'égalité des droits pour tous et un code social du travail. Nous avons aidé à bâtir une Allemagne dans laquelle la direction des affaires n'est pas seulement accessible aux princes et aux barons, mais également aux membres de la classe ouvrière. Vous ne pouvez revenir là-dessus sans désavouer votre propre Führer.
La constitution de Weimar n'est pas une constitution socialiste. Mais nous demeurons fidèles aux principes de l'État constitutionnel, de l'égalité des droits et du droit social qui y sont définis. En cette heure historique, nous autres. sociaux-démocrates allemands, nous faisons une profession de foi solennelle dans les principes de l'humanité et de la justice de la liberté et du socialisme. Nous saluons nos amis dans le Reich. Leur constance et leur fidélité est digne d'admiration. Le courage qu'ils ont dans leur= convictions, leur assurance inébranlable sont la caution d'un avenir meilleur. »
Otto Wels poursuivit son travail de direction du parti jusqu’à sa mort à Paris le 16 septembre 1939, le lendemain de son 66e anniversaire. Le trésorier du SPD en exil, Sigmund Crummenerl mourut lui aussi à Paris.
Le SPD organisa le Sopade (Parti social-démocrate d’Allemagne), dont la base était à Prague jusqu’à l’invasion nazie de 1938, mais dès 1933, il exista un bureau à Paris avant que l’occupation nazie ne pousse l’antenne parisienne à se réfugier à Londres. Des leaders comme Otto Wels, Paul Hertz, Friedrich Stampfer ou encore Erich Ollenhauer furent exfiltrés pour échapper à la répression nazie.
Le bulletin Rapports d’Allemagne sur la situation de l’Allemagne nazie fut publié dès avril 1934 jusqu’en 1940 avec une édition praguoise jusqu’en mars 1938 puis parisienne. On doit ce travail à Rudolf Hilferding le principal théoricien de la social-démocratie allemande sous la République de Weimar. Il fut lui-même l’auteur du Manifeste de Prague qui appela dès 1934 à la lutte révolutionnaire pour renverser Hitler. Le Manifeste de Prague fut le résultat des pressions de la gauche du parti qui contestait une forme d’aveuglement des dirigeants qui n’avaient probablement pas pris la mesure de la réalité du nazisme. Ce fut aussi l’occasion de revenir sur les erreurs de la période 1918-1919. Cette période marquée par l’assassinat des anciens leaders sociaux-démocrates partis fonder le mouvement spartakiste, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.
A Paris les militants du SPD formèrent un front commun antinazi avec les communistes allemands en exil, mais ce “front populaire allemand” se brisa à cause de la situation internationale en 1936-1937 caractérisée par les procès de Moscou et la guerre civile espagnole.
La direction du SPD en exil au cours de la période parisienne avait trouvé un local au premier étage du 30, rue des Ecoles et Jean Longuet, maire SFIO de Châtenay-Malabry hébergea des familles dans les locaux de la Butte rouge au 7, rue Albert Thomas.
Ollenhauer fut arrêté par la police française durant la drôle de guerre, mais libéré grâce à Léon Blum. Il put gagner Londres où il travailla à la réorganisation du SPD en exil et à la reconstruction du parti qu’il dirigea après la mort de Kurt Schumacher de 1952 à 1963 avant de présider quelques mois l’Internationale socialiste. C’est le maire de Berlin, Willy Brandt, qui lui succéda à la tête du SPD.
On sait malheureusement que pour une poignée de militants du SPD qui purent se reconstruire en France, beaucoup de ressortissants allemands connurent l’enfer des camps d’internement avant de pouvoir gagner une terre libre quand ils ne furent pas capturés. Certains comme le grand Walter Benjamin ne virent pas la fin de ce terrible voyage.
La suite est un peu plus connue : le SPD redevint le grand parti de l’opposition aux chrétiens-démocrates. En 1959, lors de son congrès de Bad Godesberg, il rompit avec toute référence au marxisme. En 1966, il parvint au pouvoir dans le cadre d’une coalition avec les libéraux avant de gouverner pour la première fois depuis la fin de la Première guerre mondiale avec Willy Brandt puis Helmut Schimdt. Brandt, par son Ostpolitik tendit la main à la RDA.
Le SPD est ce qu’on appelle en Allemagne un Volskpartei, c’est-à-dire un grand parti sans lequel le pays n’est pas tout à fait le même. Aujourd’hui, il détient la majorité des Länder, donc aussi au Bundesrat et idem dans les grandes villes y compris dans la très conservatrice Bavière.
Le 150e anniversaire de ce grand parti permet de se pencher sur la manière dont ce pays a changé l’Allemagne. En prenant la mesure de cette grande histoire dans un si grand pays, on ne peut que se dire que l’Histoire n’est pas finie et que de grandes choses peuvent encore être réalisées.
Cette histoire n'est pas une collection de vieux textes sans images ou de photos en noir et blanc, c'est une fontaine dans laquelle le militant d'aujourd'hui doit puise l'énergie pour réaliser le rêve des fondateurs car le monde juste pour lequel nous nous battons, pour lequel nos aînés ont lutté, payant parfois le prix du sang, reste à construire, chaque jour.
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