En voulant expliquer en quelques signes pourquoi le couac de Victorin Lurel à propos de ses déclarations au moment des obsèques d'Hugo Chávez étaient compréhensibles pour certaines personnes, je me suis rendu compte, à la lecture des commentaires, qu'au-delà des désaccords, il y avait une incompréhension, voire une ignorance à l'égard de ce qu'est ce monde caribéen et latino-américain, cet univers où certains adorent aller en vacances, notamment Cuba ou la République dominicaine, parce que ça ne coûte pas cher – puisque les gens dans ce dernier pays sont sous payés et exploités. Mais ce monde ne se limite pas à ses plages paradisiaques, ses belles métisses, ses rythmes épicés et ensoleillés ou ses alcools uniques.
L’erreur de Victorin Lurel fut qu’en exprimant une opinion personnelle, y compris celle d’un caribéen, il parlait au nom de la France et il n’était pas très habile, ou trop subtil de comparer le sulfureux Chávez à l’icône absolue de la droite que fut de Gaulle et une des icônes de la gauche que fut Blum. Il ne mérite pas l’avalanche d’indignation instinctive qui tombe au moindre couac. C'est un homme extrêmement cultivé, prudent et d'un grand discernement. En n'oubliant pas d'où il venait, il n'a pas forcément oublié pourquoi il était là, mais il a peut-être oublié combien il n'a pas que la mer qui sépare toutes les facettes de ce qu'il est.
Mais au-delà de l’indignation provoquée car on ne peut pas comparer un « dictateur » aux obsèques duquel à côté de Lula, ou du président conservateur chilien Sebastian Piñera qui a au passage décrété trois jours de deuil national dans son pays, il y avait un dictateur authentique, le Biélorusse Loukatchenko, et M. Ahmadinejad, l’Iranien. Tout comme il y a 43 ans, des dirigeants démocrates, des têtes couronnées d’Europe côtoyaient le Négus, mais aussi le Shah d’Iran ou les dirigeants du Bloc communiste… Ce sont là les délices des affaires internationales !
Manière de dire que même si elle tire nombre de ses fondamentaux des idées nées en Europe, notamment en France, la politique sud-américaine ne rentre pas toujours dans les cases européennes. Un autre exemple moins sulfureux si vous voulez faire une expérience : lancez lors d’un dîner où il y a quelques connaisseurs, le débat sur le péronisme, et vous aurez le tournis…
Pour un Français, vivant dans une vieille démocratie qui n’a connu le totalitarisme ou quelque chose d’approchant que 4 ans en un siècle, un militaire qui a raté un putsch, purgé sa peine et gagné des élections face à une opposition divisée, en poussant l’antiaméricanisme jusqu’à s’afficher avec d’authentiques dictateurs, voilà qui n’est pas acceptable. Et c’est juste.
Mais que disait la gauche de de Gaulle entre 1958 et 1962 ? Que préparait la droite en 1968 ? Quels furent les débats politiques en France face à l’expérience Allende et le coup d’Etat de 1973 ? Quel rôle a joué la France dans l’aide apportée aux forces de police dans les dictatures sud-américaines des années 70 ?
Pour un latino-américain, les DOM sont des colonies françaises qu’il faut « libérer ». Pour un homme ou une femme de la Caraïbe, le romantisme de la révolution cubaine est vaguement vivace, même si on connaît la véritable nature du régime.
Quand j’étais gamin, l’opération américaine à Grenade avait choqué. Maurice Bishop était un héros ou un martyr. Pour nous, ce qui se passait au Nicaragua ou au Salvador avait du sens. Dans nos cours d’espagnol en classe de 4e, les programmes étaient neufs car on était au milieu des années 80 et la movida en Espagne, le « retour de la démocratie » constituaient des toiles de fond aussi présentes que La vie de Lazarillo des Tormes.
Pour les Antillais, le Venezuela est un pays voisin comme la Colombie ou le Brésil, où on va en vacances parce que notre pouvoir d’achat de Français est supérieur à celui des habitants de l’île de Margarita ou des passants de Savana Grande à Caracas.
L’erreur de Lurel a été de faire passer en l’équivalent d’un tweet, une réalité bien plus complexe, celle qui fait qu’au nom de l’Histoire, les actes d’un hommes échappent à un jugement moral sans appel comme cela se fait « ici » en Europe.
Dans un monde mondialisé, il faut le comprendre. Il ne s’agit pas de banaliser, voire d’amnistier tel ou tel dirigeant, mais de saisir comment se construit une perception.
Le monde est plein d’exemples similaires.
Si on pouvait garantir que nous pouvons tous nous affranchir à chaque instant de ce que nous sommes pour n’être que la fonction que nous occupons, alors les choses seraient plus simples, mais on n’y est pas encore…
Tout à fait d'accord avec ta conclusion Pierre. Les déployeurs de tentes et dérouleurs de tapis rouge à Khadafi (souvenons-nous!) ne sont pas à une contradiction près maintenant qu'ils sont dans l'opposition.
Que reste-t-il de Chavez, finalement?
Sur le plan économique, les chiffres montrent que les exportations vénézuéliennes en pétrole ont nettement diminué. L’agriculture ne fait pas tourner la filière agro-alimentaire. Le Déficit public représente près de 7% du PIB en 2012. L’inflation est l’une des plus importantes du monde. Si Chavez a contribué à l’améliorer, la situation sociale des vénézuéliens demeure très préoccupante. Caracas (pour ne citer que la capitale) est aujourd’hui l’une des villes les plus dangereuses du monde, et la corruption y règne. Les armes de première catégorie sont devenues monnaie courante dans les prisons. Les inégalités ont certes diminué dans les bidonvilles mais l’écart entre pauvres et classe moyenne – que Chavez a fait émerger, et donc qui doit tout au régime – continue à être important.
Chavez était donc un mauvais gestionnaire.
Qu’en est-il politiquement ? S’il était aimé de son peuple, c’est en raison de son discours anti-impérialiste (les Amériques ne sont pas les Etats-Unis) et plus profondément parce qu’il a établi un lien entre péronisme et guévarisme que certain appellent aujourd’hui le chavisme : redonner une place au Venezuela sur la scène internationale, nationaliser à tout prix et à tour de bras, redonner confiance au peuple Vénézuélien en plaçant systématiquement au centre du discours paternaliste les associations, paysans, les travailleurs et les syndicats.
Notre camarade Victorin est dans une position un peu particulière : ministre des Outre-Mer et ancien président de la Région Guadeloupe. On peut s’attendre à ce que sa vision ne soit pas strictement métropolitaine et je peux comprendre ce point de vue (des Antilles).
Pour autant, je ne comparerais pas l’incomparable. Non, Chavez n’était pas Blum car Blum était un homme de bien et de vérité. Ni la presse, ni l’armée, ni l’administration ne servaient ses ambitions personnelles. Et non, Chavez n’était pas de Gaulle car de Gaulle était gaulliste. Mais il est vrai que lorsqu’un président parle de « non-alignés » en 2010, on est en droit de se poser la question de son appartenance à l’époque de Blum ou de Gaulle plutôt qu’à la nôtre.
Chavez était Chavez. Il se pensait « damné de la terre » et le faisait savoir de toutes ses forces. C’est déjà beaucoup.
Rédigé par : Michel ROSE | 13 mars 2013 à 23:03
Je trouve qu'on oublie trop un authentique héros de la social démocratie, et de la démocratie au Venezuela, Romulo Betancourt.
Rédigé par : Gilles Vollant | 21 mars 2013 à 10:39