Dans tous les discours sur la sortie de crise, les moyens de créer de l'emploi et de retrouver le chemin d'une croissance durable, deux mots reviennent systématiquement : investissement et innovation.
Lors des Entretiens économiques européens, organisés par Confrontations Europe cette année à Bologne, nous avons débattu des moyens de sortir l'Europe de la crise en misant sur l'industrie et l'innovation. Cette articulation est tellement logique qu'il faut la regarder dans son ensemble et l'on constatera qu'il s'agit d'un fil d'Ariane qui permet de sortir du labyrinthe de la crise (Récession, austérité, chômage, désindustrialisation) pour sortir au grand jour d'une croissance durable bénéfique aussi bien à ceux qui investissent qu'à ceux qui produisent et à ceux qui consomment.
Il n'y a pas de croissance sans innovation. Il n'y a pas d'innovation sans prise de risque sur la base d'une confiance entre les acteurs. Il n'y a pas d'innovation non plus sans la recherche et sans industrie.
Il n'y a pas de croissance sans production, ni consommation.
Il n'y a pas de consommation sans pouvoir d'achat et pas de pouvoir d'achat sans revenus décents. Pas de revenus décents sans emploi de qualité. Pas d'emploi sans qualification ni formation.
Pas d'emploi sans investissement dans une stratégie industrielle et pas de stratégie industrielle ni développement économique sans volonté ni projet politique.
Le système économique aujourd'hui obéit à la thèse qui veut que l'emploi est la variable d'ajustement des stratégies économiques et financières sans lien avec le profit et les bénéfices réalisés. En d'autres termes, une entreprise en bonne santé financière ou boursière peut volontiers licencier...
Il faut une pensée globale de l'économie : les salariés sont aussi des consommateurs. Comment penser la croissance sans donner aux salariés les moyens de dépenser leur argent ?
Dans la crise, plus d'Europe
On parle volontiers de compétitivité. Sur fond de crise, le réflexe des Etats et de limiter leurs coûts et les risques et donc de retirer leurs billes. Dans les faits, la solidarité diminuent alors que dans les souhaits, on la veut plus grande.
Quand la crise a éclaté, on a recommencé à parler d'Etat stratège et de régulation de l'économie face à l'économie casino et la spéculation financière et on a redonné au capitalisme productif ancré dans des territoires sa primauté par rapport au capitalisme financier transnational. Maintenant, on retrouve, à en croire le président H. van Rompuy, ses vertus au débat sur un budget communautaire plus importante - même si à ce stade, on ne parle que de la zone euro. Encore un effort !
L'exigence de solidarité dont on a dit qu'elle était consubstantielle à l'idée même de construction européenne ne se traduit pas aujourd'hui par des politiques concrètes. La compétitivité n'est pas une notion abstraite. Être compétitif c'est toujours par rapport à des normes. La question politique porte donc sur la définition de ces normes. Coût du travail contre qualité de l'emploi et des salaires, part des cotisations sociales contre salaires décents, formation, mobilité et possibilités de reconversion contre flexibilité et précarité de l'emploi... Voilà les termes du débats sur la bataille des normes qu'il faut engager.
En d'autres termes, la dialectique qui nous a conduit dans la crise ne peut pas nous en sortir. Il en faut une autre. Le débat sur un nouveau modèle de développement européenne est donc incontournable. On a vu comment la nationalisation temporaire des banques ou l'évolution des politiques de la BCE ont démontré que les traités européens ne marquaient nullement la fin de la politique et des rapports de force nécessaires à la prise de décision. Il s'agit donc d'un changement de vision. C'est clairement idéologique. Placer la qualité et la durabilité de l'emploi au cœur des stratégies de développement économique ou d'innovation technologique, des infrastructures industrielles et de l'aménagement des territoires sur lesquels tout cela se place est fondamental car les spéculateurs ou les détenteurs de fonds de pension par exemple ne produisent pas. Il faut bien que des hommes et des femmes, nombreux, formés, qualifiés et bien payés conçoivent et fabriquent !
Comment aurait dit un intellectuel italien. C'est d'une forme d'hégémonie culturelle dont il est question. Restructurer la pensée économique dans ce sens pour conduire des politiques économiques au service de la recherche, de l'innovation et de l'emploi pour que les profits ne soient pas seulement financiers pour quelques uns, mais humains pour tous.
Dans cette région d'Emilie Romagne touchée récemment par un tremblement de terre, une catastrophe naturelle, c'est bien la puissance publique qui a été mobilisée. C'est dire à quel point on ne peut se passer de l'Etat quand tout va bien et l'appeler au secours quand ça va mal.
La puissance publique doit revenir un acteur économique
Ces derniers temps, l'Etat est devenu un pompier. Il doit être de nouveau un pilier. Nous militons pour un Etat stratège. Il ne s'agit pas de revenir à la planification, mais de penser ensemble l'organisation et l'orientation de l'économie selon des priorités définies en commun.
Si on croit que " le marché est un bon serviteur, mais un mauvais maître ", il faut identifier celui ne sera pas tant le maître que celui qui saura assurer une sorte de maîtrise de cet art de l'exécution qu'est la politique.
Nous autres, à la Région Ile-de-France, nous avons décidé cette volonté d'organisation. Nous sommes un territoire attractif qui concentre atouts et opportunités, mais aussi poches de pauvreté à côtés de bulles de prospérité. Nous savons aujourd'hui qu'en Europe, la dislocation de l'Union s'exprime aussi dans la menace d'une dislocation des Etats entre régions qui ont besoin d'une solidarité nationale et régions qui ne veulent plus payer pour les pauvres. Les Italiens en savent quelque chose et ils ne sont pas les seuls. Ce n'est pas pour rien que les politiques régionales européennes sont souvent regroupées dans le terme de politique de cohésion.
L'Ile-de-France c'est un Français sur 6. La déserte de toutes les grandes villes d'Europe en train ou en avion, un emploi sur 5. Plus d'un demi million d'entreprises. La première concentration en R&D d'Europe. Les acteurs premiers du développement économique sont les collectivités locales. Depuis 8 ans, ce sont les Régions qui d'ailleurs définissent les stratégies de développement économique.
Ce développement - dans une région moins industrielle que d'autres - passe par une approche de développement écologique. Chacun sait que le temps du productivisme est fini et que son prix a été la raréfaction des ressources. Aujourd'hui, il s'agit de la conception à la consommation en passant par la production et la distribution, de mettre au premier plan des pratiques écologiques. Et cela ne s'arrête pas là puisque la gestion des déchets est un secteur à par entière fondamental.
La Région Ile-de-France aide à l'innovation responsable en privilégiant les projets de R&D liés aux développement durable. Elle aide aussi à l'expérimentation dans l'innovation. C'est un choix politique et économique. Nous voulons changer les pratiques et les mentalités pour que le développement économique et l'activité industrielle soient pleinement intégrées dans une approche "verte" qui doit elle-même non pas être une mode, mais une norme.
On dit souvent que cela coûte de l'argent, la Région aide à passer cet obstacle qui est peut-être parfois un prétexte.
Tout cela représente neuf millions d'euros par an. Dans ce domaine comme dans d'autres, la Région s'est engagée là où l'Etat s'est désengagé.
Toute notre stratégie de développement s'inscrit dans une stratégie d'aménagement du territoire pour permettre l'accueil, les infrastructures et les éléments nécessaires au maintien de l'attractivité du territoire. La France a un modèle social attractif car il est protecteur, la Région a un réseau de transports attractif car il est dense. Des services publics ou d'intérêt général permettent aux salariés de construire dans la continuité des opportunités d'emploi, des projets de vie qui produisent, dans la suite de leur activité professionnelle, des profits d'un genre particulier : le bien être. Voilà le sens du SDRIF adopté récemment.
Certains s'interrogent probablement encore sur la pertinence de l'échelon régional à administrer des fonds communautaires et à intervenir dans le développement économique. Mais croient-ils qu'un Etat centralisé comme cela existe en France, ou recentralisateur comme on le voit à l'œuvre en Italie soient l'échelon pertinent pour assurer un développement des territoires qui fasse converger les opportunités économiques, réduire au plus près des gens les inégalités en associant tous les acteurs - élus, patrons, syndicats, associations, citoyens etc. ?
Le besoin d'Europe est grand, mais il ne sera satisfait que si la démocratie est présente à tous les échelons. Elle a sa place dans le développement régional et la recherche dans l'innovation et le travail sur la (ré)industrialisation.
Tout cela est aussi possible si les stratégies européennes de cohésion sont dynamiques. L'usage des fonds structurels est dont essentiel, mais il n'est pas encore optimal. C'est un pilier malgré tout incontournable dont les régions profitent. Elles doivent aussi participer à leur administration pour faciliter leur gestion et assurer un meilleur usage par le plus grand nombre pour le bien de la cohésion des territoires et du développement économique pour que le progrès technique et économique se conjuguent au mieux avec le progrès social et humain. Le chemin de la sortie de crise passe par le verrouillage derrière nous de la porte pour ne plus y retourner.
En un mot, si la crise est douloureuse, les outils existent. Le diagnostic est net, la thérapeutique le semble moins. Mais le principe est clair : il ne s'agit pas d'atténuer les effets de la douleur, mais d'en éradiquer les causes.
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