Une des thèses les plus controversées de la Gauche populaire est celle de « l’insécurité culturelle ». Pour eux, le vote FN s’explique par l’insécurité sociale et économique – jusque là, on est d’accord, mais aussi par l’insécurité culturelle. Si on voit bien ce que peut être l’insécurité économique ou sociale, la crainte d’une paupérisation ou d’un précariat que causerait le chômage ou la perte du pouvoir d’achat, le déclassement, bref, la paupérisation, on n’avait encore jamais autant entendu parler d’insécurité culturelle.
Si les mots ont un sens, on pourrait dire que, à la suite de ce qu’on vient d’énoncer, l’insécurité culturelle devrait consister en un sentiment de crainte de perdre ses repères culturels. S’il s’agit de dire que des gens se sentent relégués, dépossédés de plus en plus, c’est une réalité que personne ne peut nier.
La relégation économique ou sociale, voire géographique – la question des zones péri-urbaines est désormais largement analysée depuis les dernières élections et nous en avons fait un sujet de débat au Conseil régional Ile-de-France. Plusieurs intellectuels et chercheurs ont, dans leur volonté d’analyser les ressorts du vote FN, y ont rajouté une relégation culturelle, voire identitaire.
Le déclassement social ou économique produit un sentiment de dépossession identitaire qui conduit en effet des gens à se replier sur eux-mêmes et à changer leur regard sur l’Autre.
Dans la littérature sur le sujets, autour du mot d’ordre « Plus de République, moins de société », les thèses sont assez clairement formulées. « La faute au multiculturalisme », « la faute aux récits communautarisés qui ont rogné ou saucissonné l’Histoire nationale », « la faute à la gauche diversitaire qui a tourné le dos au peuple et à l’unicité de la République ».
A croire qu’entre ces « invisibles » qui, relégués par la crise, délaissés par les élites d’un côté et les « indivisibles » qui essayent de faire vivre ensemble des gens aux héritages culturels et ethniques mêlés, il faille définitivement choisir son champ.
On attend encore une définition sérieuse de cette affaire d’insécurité culturelle ou identitaire car pour le moment, cela ressemble fort à une tautologie.
Si l’identitaire est le moyen de répondre à une crise d’intégration, c’est l’intégration économique et sociale qui permet de répondre à la crise identitaire ou d’éluder la question et pour cela, il faut regarder 30 ou 40 ans en arrière. En attendant la définition, le terme est brandi dans les discours et les interventions médiatiques.
La France a choisi d’être un empire colonial. Moyennant quoi, elle a pratiqué l’esclavage et l’exploitation de peuples auxquels elle a imposé sa loi et sa culture. Bien que la République a diffusé ses valeurs, la pratique du système colonialiste, qui a survécu à la décolonisation institutionnelle a laissé un rapport de dépendance économique, parfois d’aliénation culturelle et d’insécurité démocratique réelle. On a appelé cela « néo-colonialisme » ou « Françafrique » etc. Les Trente Glorieuses ont amené des vagues d’immigrés venus de ces anciennes colonies. C’est là où la France métropolitaine a commencé à se métisser. Les gens se sont installés, ils ont fondé ou fait venir leur famille et une deuxième, puis une troisième génération sont nées en France. Même s’ils ne s’agissait pas de « hordes d’immigrés », dès les années 70, on entendait déjà, dans le discours de l’extrême droite et de la droite que la France n’était plus la France.
Le fameux Dupont Lajoie d’Yves Boisset date de 1975. Autant dire, qu’il n’est pas récent…
Lorsque la gauche arrive au pouvoir, elle représente un espoir pour ces immigrés à qui elle accorde le droit d’adhérer ou de former des associations et de militer dans des syndicats. Elle leur a promis le droit de vote, mais elle n’en a pas les moyens.
L’erreur ou, l’imposture consiste à construire un projet politique non pas en réponse à un constat, mais en prenant le constat comme postulat. Et de ce point de vue, il y a belle lurette que les faits ont donné tort à Lin Biao qui feignait de croire que "les idées justes naissent au milieu du peuple".
Dans la littérature sur l'insécurité culturelle, si la définition est floue, l’ennemi, lui, est clairement désigné : c’est le multiculturalisme.
Cela fait longtemps que le multiculturalisme pose un problème à ceux qui se disent "républicains". Mais on a envie de dire que le multiculturalisme c'est un peu comme la mondialisation. C'est un fait. C'est l'existence dans une même société d'une diversité culturelle qui s'exprime d'elle-même. Toute la question est de savoir si cela se fait de manière anarchique et conflictuelle ou de manière harmonieuse.
Pour des Français, pour des républicains, cette notion de cultures multiples est importante car on le sait, la perception de la Nation française est, à l'origine, un concept "de gauche", fondé sur l'appartement à des valeurs et des principes. Dès lors, la notion de "culture", française, occidentale, européenne, judéo-chrétienne est ambigüe et si on parle d'insécurité culturelle, il faut dire ce qu'elle ne serait pas.
Si l'insécurité culturelle consiste en un démembrement des repères culturels classiques à cause de la mondialisation, de l'uniformisation ou de la marchandisation, la France y a déjà répondu par le concept d'exception culturelle. Il y a d'ailleurs un consensus sur le fait qu'il faille protéger la culture de l'emprise du marché.
Si l'insécurité culturelle consiste au contraire dans la peur d’une menace dont on identifierait les porteurs, c’est bien plus grave. Qui en effet est responsable de l’insécurité culturelle ? Il faut désigner l’ennemi et dire ce qu’il faut faire pour le vaincre.
Les théoriciens de la Gauche populaire et leurs amis mettent en pratique d’une certaine manière, avec assurément bonne volonté, la formule tristement célèbre qui veut que « le Front national pose de bonnes questions, mais qu’il apporte de mauvaises réponses ». Si on veut être naïf au point de croire cela, on ne fera que valider les thèses du Front national sur le diagnostic, ce qui ne sera qu’un premier pas vers la validation de sa thérapeutique.
Voilà l’erreur de la Gauche populaire sur l’insécurité culturelle, faute de la définir, elle laisse les gens se débrouiller avec leur compréhension de la langue française en laissant penser que pèse une menace identitaire…
La gauche n’est pas à l’aise avec l’identité nous dira-t-on, mais si l’identité sert à diviser alors qu’elle devrait rassembler, en effet, la gauche ne croit pas dans les replis identitaires.
La droite a toujours beaucoup parlé des racines. Mais des racines qui ne donnent aucun fruit ne servent à rien.
L’insécurité culturelle comme formule est aussi une provocation pour les populations ultramarines ou issues de l’immigration car dès lors qu’on en parle, on désigne, tacitement, une cible. Cet Autre qui n’est pas français comme les autres car d’une autre religion, avec d’autres habitudes alimentaires, parce que ses ancêtres sont présents sur le sol depuis moins longtemps…
C’est en gros, la métaphore du café au lait ou du lait au café. Goutte à goutte tout va bien jusqu’au jour où la saveur et la couleur changent…
Pour résoudre la crise des catégories populaires, il faut d’abord elle doit cesser de les cataloguer en les prenant de haut où de considérer que la pureté des idées se mesure au degré de misère. On ne peut pas dire que les catégories populaires « votent avec leurs pieds » quand elles votent à droite ou à l’extrême droite et venir sur leurs idées en faisant croire qu’il faut les ramener chez nous.
Un projet de gauche en direction des catégories populaires ne peut s’appuyer que sur un constat de gauche. S’il s’appuie sur autre chose, les propositions seront inspirées par autre chose.
La République ne doit pas « tolérer » une société métissée, elle doit garantir que tous se sentent bien en son sein.
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