L'annonce a été rapide et elle est probablement jugée inélégante, mais elle se comprend. A force d'avoir confondu ces derniers temps le statut actuel de premier signataire d'une motion et celui de premier secrétaire d'un parti, on se doutait bien que le dernier mois serait celui d'autres confusions des genres et d'une autorité bafouée par des gens trop pressés. Mais c'est à Martine Aubry elle-même qu'il appartient d'expliquer sa démarche aux militants.
Mais ce ne sont pas les derniers jours écoulés qui doivent faire oublier ce que le Parti socialiste doit à Martine Aubry.
Martine c’est plus de trente ans au service de la gauche. Tous les grandes lois sociales votées par les gouvernements socialistes depuis 1981 sont de près ou de loin le résultat de son travail. Des Lois Auroux aux Trente cinq heures, Martine Aubry a marqué de son empreinte l’amélioration de la démocratie sociale et des conditions de travail des salariés de ce pays.
Lors qu’elle devient la première secrétaire du PS en 2008, ce n’est pas pour rien. Outre son bilan au gouvernement, Martine a fondé le courant Réformer après son départ en 2001 qui est plus un club de pensée qu’une tendance du PS. Elle organise des rencontres et cela produit des petits bouquins de grande qualité. Durant cette période 2002-2006, Martine Aubry est l’une des rares personnalités avec Dominique Strauss-Kahn à travailler de la sorte au réarmement idéologique du PS et à la reconnexion avec les intellectuels, les économistes ou les acteurs de terrain.
C’est ainsi qu’avec DSK et Jack Lang elle fut chargée du projet socialiste.
Après la défaite de 2007 et le départ de DSK pour le FMI, la question qui est posée au PS consiste à savoir comment assurer une rénovation à l’abri de toute présidentialisation. Donc ne pas se précipiter, mais prendre le temps de reconstruire.
C’est ce que nous avons voulu faire avec elle. On a parlé de carpes et de lapins, d’attelage hétéroclite. Ceci dit, le projet des reconstructeurs a débouché sur une direction dans laquelle chacun a trouvé sa place et si le congrès de Reims n’est pas notre meilleur souvenir, les quatre années de Martine comme Première secrétaire furent sans doute les plus sereines depuis longtemps. Le parti a été reconstruit, ses adhérents ont augmenté, il a remporté la plupart des élections et le succès des primaires a dépassé les pronostics et les espérances les plus optimistes.
Des conventions pour la rénovation du PS, un nouveau modèle de développement, une nouvelle donne internationale et européenne ou encore pour l’égalité, le PS est redevenu lisible et visible. Surtout ce sont ses thèmes qui ont structuré le débat politique dans le pays, imposant à la droite de se déterminer non plus en fonction de son propre rythme, mais en réaction à ce que les socialistes disaient à un pays qui les écoutaient enfin car ils étaient devenus plus audibles.
Martine Aubry aura donc relevé le PS comme l’avait fait Lionel Jospin entre 1995 et 1997. Elle aura préparé ce parti à la dernière phase de la reconquête.
S’il est possible que certains ne lui pardonnèrent jamais d’avoir gagné à Reims et d’avoir réussi là où ils avaient échoué, il est certain que Martine Aubry a triomphé des critiques en imposant son style et son rythme. Oui Lille était une priorité non négociable.
Martine a peut-être tendu un miroir dans lequel quelques contradictions se sont révélées. A la demande d’autorité elle répondait présente, on hurlait « autoritarisme ! » Pour le coup, il fallait bien à un moment donné prendre des décisions, indiquer les bornes à ne pas franchir et avancer.
S’il n’était pas écrit dans la feuille de route qu’on toucherait aux « traditions locales » d’une certaine conception du socialisme la chef du PS a su assumer le choix de faire ce qu’il fallait pour que la Rénovation ne s’arrête pas aux frontières de fédérations réputées « folkloriques ».
Reste son échec à la primaire. Comment l’analyser ? Elle seule peut le dire. Prisonnière du soi disant pacte de Marrakech avec DSK ? Non. Insuffisamment déterminée à être présidente ? Possible, tant François Hollande était préparé, motivé et habité. Possible aussi qu’elle ait fait les frais d’un statut qui allait à l’encontre d’une culture « bonapartiste » bien française qui, voulant que la présidentielle soit la rencontre entre un homme et un peuple, il fallait pour le coup savoir non pas être la candidate du PS, mais en dépasser en quelques sortes les frontières.
Ce serait une erreur de considérer qu’il faille rayer tout cela d’un trait de plume car pour le coup, cela reviendrait à tirer le PS en arrière.
Martine Aubry, première femme à diriger le PS n’aura pas, enfin, vécu l’enfer d’une Edith Cresson ni même d’une Ségolène Royal car, à l’inverse de ces camarades là, nourrie probablement de sa propre histoire, ancienne militante syndicale, associative, cadre, ministre puis maire d’une ville au cœur d’un bastion socialiste, elle a su incarner à sa manière un parti qu’elle aime et dont les militants l’aiment.
Nous sommes nombreux à être fiers d’avoir vécu ces moments avec elle et son équipe. Nous ne laisserons pas défaire ce qu’elle a mis quatre ans à faire avec d’autres. Nous sommes heureux d’avoir réussi à reconstruire un parti qui aujourd’hui a donné à la France un président et un gouvernement qui doivent réussir à leur tour.
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