Je vous parle d'une époque que les moins de vingt ans n'ont pas connue. C'était en août 2002. Les militants socialistes étaient présents, comme chaque année, à l'Université d'été du PS à La Rochelle. Ambiance très particulière puisque le 21 avril de cette année, Lionel Jospin avait été éliminé de l'élection présidentielle dès le premier tour. Tous les socialistes étaient encore sous le choc. Mais brisant le "délais de décence", Marie-Noëlle Lienemann, qui avait été ministre du logement dans le gouvernement, avait commis un ouvrage réquisitoire, imputant la défaite à une deuxième moitié de législature insuffisamment à gauche et à une campagne ratée... La violence de la bronca contre elle fut inouïe, mais quelques mois plus tard, ses analyses furent reprises pour l'essentiel par la plupart des militants qui rejoignirent le courant NPS au congrès de Dijon du printemps 2003.
Mis à part le retour sur les raisons de la défaite, l'attention d'une bonne partie des participants était retenue par le psychodrame en train de se dérouler à Nantes où se déroulait l'université d'été de la Gauche socialiste, le courant "de gauche" du PS. Ce devait être la fin d'une aventure collective qui avait marqué le PS et la gauche militante pendant plus de dix ans. Courant spécial, la "GS" s'est sabordée, mettant du même coup un terme à cette période de l'histoire du Parti socialiste où il avait longtemps existé des courants structurés qui eux-mêmes participaient à la structuration du PS.
La GS et nous
La GS et nous c'est un peu des ennemis intimes depuis toujours. Avec le recul, c'est un peu folklorique, mais cela a fait partie de nos histoires respectives. Nous avons eu en commun de nous détester dans les organisations au sein desquelles nous militions activement et pas comme les autres courants ou sensibilités de la gauche non communiste. Méfiance collective, parfois haine tenace, nous n'étions pas du même bord et pourtant...
Tous les fondateurs de la GS venaient de l'extrême gauche. Soit la branche lambertiste comme Jean-Luc Mélenchon, soit le pablisme comme Marie-Noëlle Lienemann ou bien sûr la LCR comme Julien Dray et Laurence Rossignol. Autant dire que c'était tout sauf un courant "social-démocrate", par posture, on prolongeait les antiques querelles de clocher en croyant dur comme fer que ce qui nous séparait était insurmontable.
Leur morale et la nôtre
Du coup, les rapports étaient durs, "à l'ancienne" et qu'on s'affronte dans l'Unef-id ou dans le PS, il fallait savoir que la baston politique pouvait prendre un tour physique. On y était préparés, mais bien sûr, le taux de passage à l'acte fut proche de zéro. Leur réputation était sombre : "des éclats de voix, une intransigeance doctrinale sans faille et des embardées tactiques à tout-va", la formule est du journaliste Renaud Dély (Libération du 22 novembre 2000), un sectarisme sans borne, surtout pour ceux qui étaient les amis de Julien, une réputation de voyous dans les votes et les congrès... Bref, de mauvais garçons pas assez bien pour les socialistes propres sur eux.
La réalité est bien sûr plus nuancée, d'autant plus que c'est plutôt en région parisienne que les tensions étaient le plus dur.
Dans les CN et autres grandes réunions socialistes, les colères d'un Juju dont la voix montait vite dans les aigus, les envolées enflammées d'une Marie-Noëlle semblant au bord des larmes ou l'éloquence très Troisième république d'un Mélenchon, tranchaient avec le côté "blasé" de cadres du PS pour qui tout sembler se valoir.
Un courant-maison
Leur réseau permettait de "prendre en charge" la jeunesse dès le berceau de la prise conscience politique avec le principal syndicat lycéen, la Fédération indépendante lycéen (FIDL), leurs tendances dans l'Unef-id, le club - on ne disait pas encore think tank - "République sociale" qui disposait d'une branche allemande dont l'une des représentantes était Andrea Nahles, l'actuelle secrétaire générale du SPD. Ajouter à cela bien sûr SOS racisme qui permettait d'exister dans les luttes militantes hors des organisations que la GS ne tenait pas.
Héritière des tendances "classiques", la GS avait ses publications, "A Gauche" notamment et ses journées formation annuelles à Niort fin août. Bien sûr, les réunions de courant avant les grands rendez-vous du PS étaient obligatoires et le courant très structuré, ce qui donnait un sentiment d'appartenance très fort.
Plusieurs générations de cadres sont passés par la GS. Outre les dirigeants historiques que nous avons cité plus haut, il faut aussi compter d'autres personnalités comme Gérard Filoche, les députés Malek Boutih, Pascal Cherki, Yann Galut, Daniel Goldberg, Sébastien Pietrasanta, Pascale Boistard, Jérôme Guedj, la ministre Delphine Batho, les eurodéputés Harlem Désir et Françoise Castex... Mes collègues à la Région geneviève Wortham, Pascale Le Néouannic, François Delapierre, Olivier Thomas et Marianne Louis, mes amis Alexis Corbière et Raquel Garido, Nasser Ramdane, Xavier Vuillaume, François Carbonnel, Erik Benzekri, David Roizen, Nathalie Fortis...
Des thèses
La GS a toujours été mitterrandiste, ce qui ne manquait pas de sel pour un courant qui était resté culturellement trotskyste. Il fallait lire "Bilan et Perspectives" et la GS adoptait des "thèses" pour définir ses positions politiques. Cela dit, le discours et la phraséologie se voulaient résoluments branchés et modernes. Entre la culture des "potes" issus de SOS et une volonté d'être attractif, la GS était plus marquée par le style "copain" de Juju que par la tradition "camarade" de Méluche.
La jonction entre Dray, Filoche et Lienemann se fit dans la fédération de l'Essonne, fief historique de ce courant dans les années 90-2000. Lienemann avait présenté une motion "néo-rocardienne" au congrès de Bourg en Bresse en 1983 avec Alain Richard, mais à la suite de la réélection de Mitterrand en 1988, alors que Michel Rocard avait choisi "l'ouverture" en faisant entrer des ministres issus du centre droit dans son gouvernement, fut créé la Nouvelle école socialiste (NES).
Les amis Dray étaient mitterrandistes. Ceux de Cambadélis, résolument jospinistes, ce qui n'était évidemment pas contradictoire puisqu'à cette époque, le clivage essentiel dans le PS passait par le rapport au rocardisme. Mais Dray avait une dent contre Jospin qu'il soupçonnait d'avoir bloqué son entrée dans un ministère après les élections législatives de 1988 au cours desquels il était devenu député de l'Essonne. Est-ce pour cela que Dray mobilisa les lycéens puis les étudiants contre le gouvernement ?
A la même époque, le duo Dray-Mélenchon joua les parlementaires frondeurs au moment de la première guerre du Golfe.
La NES céda la place à la GS en 1990-1991 dont la première grande bataille politique fut le Congrès de Rennes en mars 1990 au cours duquel la tendance Dray Mélenchon recueille 1 % et des poussières, avant de se rallier à celle de Laurent Fabius. En 1994, la branche étudiante de la GS met la main sur l'Unef-id qui était contrôlée depuis la réunification de 1980 par les amis de Jean-Christophe Cambadélis. Quelques années plus tard, la présidente Carine Seiler va achever le travail engagé par Cambadélis en réalisation l'unification des deux Unef.
Lors du congrès de l'Arche en 1991, qui devait résoudre les questions idéologiques qui n'avaient pas été tranchées à Rennes, la motion unique fut "confrontée" à des amendements déposés par la GS qui recueillirent 6 %.
En 1992, la GS déposa une motion prônant une alliance "rouge, rose, verte" qu obtint plus de 7 %.
Deux ans plus tard, alors que le Parti socialiste a subi les terribles défaites de 1993 aux législatives et de 1994 aux européennes, - Dray est un des quelques députés socialistes qui ont pu être réélus, la GS fait cause commune avec Emmanuelli au congrès de Liévin et le député de l'Essonne sera chargé du programme.
La querelle avec Jospin n'était pas éteinte et il fallu attendre le remaniement de 2000 pour que le premier ministre socialiste appelle Jean-Luc Mélenchou et Marie-Noëlle Lienemann à rejoindre son gouvernement.
Avant cela, le congrès de Brest qui salua la victoire de la gauche plurielle, fut l'occasion pour la GS de passer la barre des 10 %. Jean-Luc Mélenchon se présenta au poste de premier secrétaire contre François Hollande. Il fut battu.
Lors du congrès de Grenoble en 2000, la GS présenta une motion sous une forme originale : une nouvelle qui fut éditée sous le titre Sept jours dans la vie d'Attika. Cette motion, la dernière avant la scission de 2002, a recueilli 13 % des votes des militants. Mais elle fut devancée par celle d'Henri Emmanuelli de quelques dizaines de voix. A ce moment là, la fusion des gauche est une possibilité, mais pas encore une réalité. Pour Dray elle est une nécessité face à l'hétérogénéité de la "majo" et une opportunité alors que "le PCF est entré dans une phase d'agonie active".
Dans le parcours personnel de Julien Dray, la question sécuritaire devient de plus en plus importante et celui qui avait prétendu être la voix des quartiers à travers les thèmes antiracistes et sociaux, parle désormais de "casser les ghettos" et de briser les caïds. Il est vrai que pendant longtemps, la GS a prétendu substituer à l'usine où il fallait s'établir aussi bien du temps des maos que dans les premiers temps du courant "Questions socialistes", la première structure politique de Dray dans le PS, les banlieues qui évaient le symbole à ses yeux, des nouvelles formulations de la question sociale.
La scission
La scission de la GS fut rapide et elle laissa des traces, tant l'imbrication de ses cadres avait été forte. La question qui était posée était bien sûr, à l'été 2002, "que faire ?" et avec qui. Julien Dray était un ami de longue date de François Hollande, alors premier secrétaire du PS. Au-delà des considérations de fond, il voulait rejoindre la majorité du PS. Mélenchon voulait renforcer le pôle de gauche qui allait bientôt s'organiser avec Henri Emmanuelli dans le courant Nouveau monde à Argelès-sur-Mer, mais aussi avec le Nouveau parti socialiste (NPS) emmené par Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Benoît Hamon. De fait, la GS n'avait plus le monopole de l'aile gauche du PS et la recomposition politique ne se ferait pas autour d'elle, mais plutôt à ses dépends, voire, sur ses décombres.
Le psychodrame se joua à l'intérieur et à l'extérieur - les deux meneurs voulant emmener leurs troupes là où ils iraient, ou étant prêts à casser le jouet plutôt que de se retrouver minoritaires. La fin est connue. Mélenchon rejoignit avec une bonne partie des troupes la bande d'Emmanuelli, tout en faisant sa vie, notamment lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel où il fit campagne pour le "non". Puis lors du congrès de Reims, il prit acte de la "réalité militante" de Ségolène Royal et quitta le PS pour former le Parti de gauche avec une poignée de cadres. Il n'a pas pardonné à ceux des "mélenchonistes" qui sont restés au Parti socialiste.
La querelle s'est poursuivie pour la propriété du nom et du site web. Aujourd'hui c'est vers le site de Gérard Filoche que renvoie l'occurrence "Gauche socialiste".
Que sont-ils devenus ?
Harlem Désir rompit avec cette histoire pour rejoindre les proches de François Hollande, puis Lionel Jospin, devenant secrétaire national à la mondialisation, puis à la coordination après le congrès de Reims. Numéro deux du PS, il est un autre homme...
Laurence Rossignol et Marie-Noëlle Lienemann se sont rapprochées de Laurent Fabius. Par la suite, la première a fait cause commune avec Martine Aubry, la seconde avec Paul Quilès. Aujourd'hui, toutes deux sont sénatrices.
Julien Dray est devenu porte-parole du PS puis il s'est rapproché de Ségolène Royal. C'est lui qui entretenait les relations les plus fusionnelles avec ses proches, ce qui a occasionné de nombreuses cassures dont la dernière fut la contestation dont il fut la cible pour la circonscription dont il était le député depuis 1988.
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Au terme de cette évocation "de l'extérieur", que reste-t-il de la GS ? quelques leçons politiques, quelques destins brisés, mais quelques réussites aussi bien sûr. Le plus nostalgique, Dray assure qu'il a mené toute une génération politique aux commandes du pouvoir à différents niveaux. Ce n'est pas faux. La trajectoire d'une Delphine Batho est une belle histoire républicaine. L'ancienne présidente de la FIDL est devenue secrétaire nationale en charge des questions de sécurité, puis elle a succédé à Ségolène Royal dont elle était l'une des portes-parole, comme députée des Deux-Sèvres. Aujourd'hui, elle est ministre de l'écologie.
Les rapports hyperaffectifs entre "Juju" et ses proches ont provoqué des querelles fratricides plus dures que ne le sont les batailles politiques en général.
Il n'en reste pas grand chose. Sauf une nostalgie chez ceux qui ne sont pas passés à autre chose. Mélenchon a continué à gauche en rompant avec le PS et en réalisant un destin personnel qui l'a conduit, lui l'ancien lambertiste, à être le candidat d'un Front de gauche alliant communistes et anciens de la LCR, devenue le NPA dont l'hémorragie en direction du même Front de gauche continue.
Difficile quand on a été structuré politiquement pendant près de dix ans dans une organisation aussi totale que l'était ce courant, d'y survivre sans traces. Il n'y a que dans le courant "Un monde d'avance", que les "ex" se retrouvent "comme avant", enrichi de l'alliance de militants qui n'auraient jamais imaginé, au moment où éclata la GS, se retrouver dans la même aventure. A eux de savoir qui, des ex poperénistes, ex mitterrando-emmanuellistes ou ex rocardo-hamonistes, a fait le plus de concessions sur le plan des idées ou de la culture politique pour militer dans un courant aussi structuré que l'est UMA avec les ennemis d'hier. De là à penser que certains s'obstinent à rester adolescents en politique, il n'y a qu'un pas qu'on franchit aisément...
On attend néanmoins que s'appaise ce qui reste de rancœurs pour qu'un jour, l'histoire de cette aventure militante soit écrite et versée au pot commun de l'histoire du mouvement ouvrier.
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