Hier soir j’ai débattu avec de jeunes dirigeants actifs au sein du Crif dans le cadre d’une causerie sur la situation politique, le rapport de la communauté juive à la gauche et les déclinaisons « traditionnelles » de ce type d’échange : la question de l’antisémitisme, le rapport à la gauche radicale, la situation au Proche-Orient et notamment les tensions avec l’Iran et la question palestinienne. Une initiative de deux anciens présidents de l’UEJF, Jonathan Arfi et Raphaël Haddad.
Débat somme toute classique donc on connaît chaque argument. Mais c’était à la fois l’occasion pour ces jeunes juifs d’entendre ce que la gauche avait à leur dire et de confronter les vues sur la République entre d’un côté des juifs très impliqués dans leur communauté et un élu de gauche, antillais, passé par le militantisme anti FN…
La "surprise" c'était que Richard Prasquier, le président du Crif a participé au débat ce qui a permis de se dire en face quelques vérités.
Les juifs et la gauche : je t'aime, moi (non) plus ?
Divorce réel ou supposé entre la gauche et les Français juifs, il est évident qu’il y a quelque chose de qui ne va plus et qu’on est là dans une rupture avec toute tradition régulièrement évoquée sur ce blog. Cela remonte à une dizaine d’années déjà. Le cocktail détonnant qu’ont représenté les attentats du 11 septembre 2001, l’explosion un an avant de la Deuxième intifada et les actes antisémites en France ont fait basculer une bonne partie des leaders d’opinion dans cette communauté à droite sans mesurer le pain béni que cela représentait pour les conservateurs qui n’en attendaient pas tant pour flatter les peurs et le repli. Ce repli dénoncé par les militants de gauche était soutenu par la droite israélienne évidemment dominante. L’enjeu d’une repolitisation par la gauche est important, mais il ne peut se faire que par l’engagement des juifs qui se sentent « plutôt » de gauche.
La droitisation de la communauté juive, accompagnée par le Likoud et certains dirigeants de l'UMP n'aurait pas été un phénomène dangereux si la droite française, comme la droite israélienne avaient maintenues leurs distances avec une certaine droite dure. On en a parlé ici, la mutation de l'extrême droite européenne qui, dans son combat contre l'islam, a cherché à établir de nouveaux ponts avec Israël et les communautés juives d'Europe occidentale n'a pas vraiment pris en France. Certains ont dénoncé la dénonciation trop timide à leur goût de la "drague" de Marine Le Pen à l'égard de la communauté juive de France. La mémoire est courte et les dérapages de Le Pen père durant la campagne n'ont peut-être pas remis les pendules à l'heure.
Un des présents a d'ailleurs critiqué la faiblesse de la dénonciation de la Ligue de défense juive. J'ai indiqué que ce groupuscule ultra violent ne représentait rien, mais qu'il était visible et qu'émanation de la seule organisation politique interdite en Israël - et même sur la liste des organisations terroristes et des groupes de haine du FBI - il fallait aussi le combattre. D'autant que des passerelles existeraient entre des dirigeants de la LDJ et ceux du GUD, rebaptisé récemment UDJ (Union défense de la jeunesse)... En fait, l'extrême droite française n'est pas prête à rompre avec son antisémitisme viscéral.
Cela n'a rien a voir avec la gauche radicale française.
Gauche radicale, écologistes et représentants de "la communauté" devraient se parler
Le soutien de la gauche radicale à la cause palestinienne a donné lieu à des confusions instrumentalisées de part et d’autre. On a associé sciemment l’antisionisme à l’antisémitisme et on a condamné les Verts et la gauche radicale pour avoir participé à des manifestations dans lesquelles on voyait des drapeaux du Hezbollah ou du Hamas et où on entendait des slogans antisémites. Le PS à l’époque, c’était pendant la guerre en Irak, avait condamné cela et il avait demandé aux organisateurs des manifestations d’être intransigeants.
Pour autant j’ai milité pour que l’échange avec les Verts et le Front de gauche ait lieu afin que la confrontation permette de clarifier les positions. Il était étonnant de voir que pour certains, l’argument fallacieux de la droite fonctionne : l’équivalence entre le Front national et l’extrême gauche française.
Au regard de l’Histoire de l’extrême gauche et du communisme en France, difficile de théoriser que les enfants de Lev Bronstein, les camarades de lutte de Krivine et Bensaïd soient d’odieux antisémites, symétriquement équivalents de gauche du fascisme. C’est une méconnaissance de l’histoire politique et intellectuelle du mouvement ouvrier et une insulte à ses militants. Précisément – et l’extrême droite l’a suffisamment suggéré dans les années 60-70, nombre de jeunes juifs nés après-guerre sont passés par ce creuset que forment ensemble l’Hachomer HaTzaïr, les Jeunesses communistes et/ou les organisations d’extrême gauche dans un rapport évident de proximité avec Israël et de soutien à la lutte du peuple palestinien car c’était un mouvement de libération nationale, révolutionnaire, socialiste et laïque. Aujourd’hui il reste majoritairement laïque et progressiste d’ailleurs.
Autant la droite doit assumer ses relations avec le FN – certains évoquant même au sein de l’UMP un « tabou » sur ce sujet, autant les socialistes dans leur rapport à la gauche radicale, sont dans une alliance programmatique. Mais cela signifie aussi que la politique étrangère d’un gouvernement socialiste n’obéit à aucune pression d’aucun groupe… Elle est la politique étrangère de la France, l’expression d’une pensée politique, pas la résultante incohérente des influences de tel ou tel électorat.
Le repli identiaire : un danger pour le pacte républicain
Nous avons également évoqué la question de l’antisémitisme en mettant l’accent sur le contexte de replis identitaires tous azimuts qui font que la parole raciste s’est libérée et qu’elle n’est plus le seul privilège d’électeurs FN. Les juifs de France étaient parvenus à faire exister un fait communautaire sans être communautariste. Ce temps semble révolu et le souci du repli identitaire qui peut par exemple s’illustrer par la volonté de scolariser ses enfants dès le plus jeune âge dans des écoles confessionnelles réduit d’autant les possibilités de vie avec des enfants d’autres cultures. En d’autres termes, l’entre soi conduit naturellement au repli et à une vision inquiète du monde extérieur ce qui fait de la formule humouristique de Pierre Desproges qui disait « le monde se divise en deux, d’un côté les juifs, de l’autre les antisémites » une tragique réalité pour certaines familles. Comme me le disait en apparté un des présents, sans doute le Crif n’est-il pas représentatif de la diversité de ce qu’on appelle la communauté juive, mais sa droitisation reflète bien la droitisation qu’on observe et qu’on déplore dans cette communauté.
C’est sur ce point bien sûr que le désaccord avec le Crif s’est exprimé. J’ai expliqué que le Crif était par nature une structure politique car les prises de positions qui étaient les siennes avaient une dimension politique. On pouvait concevoir sans approuver le légitimisme assumé du Crif à l’égard d’Israël. De fait, les réponses aux inquiétudes de la communauté juive sont des questions politiques. La gauche doit y répondre, les pouvoirs publics également. Par ailleurs, nous ne considérons pas Israël comme une entité à part, mais comme un Etat démocratique donc avec des débats entre une droite et une gauche auxquels d’ailleurs chacun avait vocation à s’intéresser.
Œuvrer pour la paix c'est prendre le risque de la paix
Evoquant la situation au Proche-Orient, j’ai indiqué qu’elle devait être regardée avec lucidité. Il est très normal pour une diaspora ou pour ceux qui épousent des causes lointaines d’avoir un rapport plus affectif que politique à la situation qu’ils suivent. Mais les tensions avec l’Iran qui ont justifié par exemple le coup de force de Netanyahu dans son alliance d’Union nationale avec le leader centriste Shaul Mofaz dans la perspective d’une guerre – ce qui était une façon de reporter sine die les élections et de tourner le dos au mouvement social en ébullition en Israël, alors que Kadima prétendait incarner justement la réponse à cette colère, ne devaient pas être renforcées par un discours belliciste ici en France. Ceci d’autant plus que l’Iran est isolé dans la région depuis le début des Printemps arabes. C’est la même chose pour la situation en Palestine où j’ai rappelé que le PS soutenait la création d’un Etat palestinien dans le cadre des textes adoptés à l’ONU. Là encore, tout le monde sait ce qu’il faut faire pour dénouer la crise. C’est la désescalade qu’il faut engager. Les positions du PS sont connues : outre la question de l’Etat Palestinien qui doit être viable, c’est-à-dire la fin de la colonisation en Cisjordanie et du blocus de Gaza, il y a évidemment l’aboutissement des négociations sur les frontières, celles de 1967, qui sont aussi une des conditions de la sécurité d’Israël. En voulant isoler Gaza lors de l’opération Plomb durci, Netanyahu a isolé son propre pays, affaiblissant sa position sur la scène internationale.
Les questions que se posent les Français juifs sont des questions politiques auxquelles les bonnes réponses sont de gauche
Bref, le maître mot de cette discussion était « politisation ». En tant qu’élu régional PS, je n’étais pas venu dire à ce public ce qu’il avait envie d’entendre, mais ce que la gauche avait à dire à cette communauté qui se pense comme telle.
Au regard de l’Histoire des juifs dans la République, le compagnonnage avec les idées de progrès, de paix et de justice a toujours été constant. Les deux premiers ministres les plus populaires du XXe siècle étaient Léon Blum et Pierre Mendes France et la gauche a eu pour champion, Dominique Strauss-Kahn dont la popularité dans les quartiers populaires était réelle, autant de signes que s’il y a de l’antisémitisme en France, la France n’est pas antisémite. Si une partie de la communauté juive a « viré » à droite, la gauche n’a pas tourné le dos à la communauté juive et elle n’a pas cherché à instrumentaliser des peurs à des fins électorales.
Comme l’indiquait un des intervenants, l’intégration croissante des Français de culture musulmane aura un effet à long terme. Le défi qui vient c’est en effet de ne pas agiter l’épouvantail imbécile d’une « France musulmane », mais de démontrer que les Français musulmans ne sont pas moins français que les Français juifs et que ces derniers ne sont pas en danger du fait de l’importance numérique plus grande des premiers.
C’est la raison pour laquelle la République laïque est le seul cadre pertinent au sein duquel on peut garantir l’égalité réelle entre ceux qui ont une religion et ceux qui n’en ont pas.
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