Les ultramarins se sont brillamment et bruyamment rappelés au bon souvenir de la République. Ceux qui se couchent tard pouvaient regarder le premier volet d'une émission sur les Noirs de France. Un sujet peu connu.
Et puis il y a eu cette folle journée du 7 février. Marine Le Pen chahutée à Saint-Denis de la Réunion, Guéant bousculé par un discours républicain de Serge Letchimy à l'Assemblée nationale.
Ce même semaine, nos pensées allaient vers la mémoire d'Edouard Glissant, disparu il y a exactement un an. Glissant dont un ami, Aimé Césaire avait écrit dans son beau Discours sur le colonialisme :
Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est unecivilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.
Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déférée à la barre de la « raison » comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins chance de tromper.
(…) Le grave est que « l’Europe » est moralement, spirituellement indéfendable.
Et aujourd’hui il se trouve que ce ne sont pas seulement les masses européennes qui incriminent , mais que l’acte d’accusation est proféré sur le plan mondial par des dizaines et des dizaines de millions d’hommes qui, du fond de l’esclavage, s’érigent en juges.
On peut tuer en Indochine, torturer à Madagascar, emprisonner en Afrique Noire, sévir aux Antilles. Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres » provisoires mentent.
Donc que leurs maîtres sont faibles.
Guéant qui a vécu en Guadeloupe aurait pu lire le Nègre fondamental. S'il avait voulu se contenter d'un écrivain plus occidental, il aurait pu méditer Dans le Chateau de Barbe Bleu de George Steiner qui illustrait que Weimar n'est pas si loin de Dachau...
On pousse des cris d'orfraies devant telle comparaison. Le Figaro a pourtant cru relever que la dernière fois qu'une majorité conservatrice a quitté l'hémicycle à la suite d'un incident de séance c'était pendant l'Affaire Dreyfus. C'est peut-être vrai. Ce donc on se souvient c'est que Christian Jacob, indigné aujourd'hui, avait été lui-même assez indigne pour déclarer il y a un an, que Dominique Strauss-Kahn n'incarnait " pas l'image de la France, l'image de la France rurale, l'image de la France des terroirs et des territoires, celle qu'on aime bien".
La droite française d'aujourd'hui est en cours de lepénisation, mais sans la brunir, il faut rappeler que les conservateurs n'ont pas toujours fait le bon choix entre la gauche et le fascisme. Encore aujourd'hui, quand Copé laisse entendre que voter à gauche serait pire que voter FN en expliquant que le vote FN favoriserait la gauche, il ne fait pas autre chose.
L'Affaire démontre une idée que à laquelle je pense depuis longtemps. L'outremer est un témoin de la République. Il y a en Guadeloupe un lieu très beau qui s'appelle d'ailleurs la Pointe de la Grande Vigie d'où l'on peut voir de beaux paysages et l'horizon. De là, on a un bout du monde à ses pied.
En somme, parce que l'outremer c'est une autre partie de la France, où se concentrent sur quelques îles, les problèmes et les ressources d'un grand pays, l'outremer c'est une grande agence de notation sociale, démocratique et morale de la France. C'est là que l'on mesurer jusqu'où peut aller la République et si le flot des lois d'émancipation et de justice s'arrête ou pas sur ces rivages lointains. Egalité salariale, justice dans la politique des prix, transparence des pratiques commerciales, opportunités, égalité des chances, etc.
Bien qu'il se trouve des noirs assez idiots pour soutenir le Front national, comment soutenir un parti dont les dirigeants rigolent avec les préjugés racistes comme Hortefeux ou disent qu'ils ne croient pas en l'égalité des races comme Le Pen père ? Peut-on accepter quand on est ultramarin de militer dans un parti au sein duquel ces doctrines raciales sont encore partagées par des pans entiers des cadres et que pour le moment, aucun document de référence du FN n'a encore marqué une rupture et une dénonciation avec tout ce passé encore présent ?
L'affiche du FN avec une femme noire, comme il y a quelques années avec Jaurès ou Salengro ne doit pas faire illusion. La cause des ultramarins ne peut être défendue par les héritiers politiques des heures les plus sombres de notre histoire. Rappelons que dans les années 70, le programme du FN voulait limiter la présence des ultramarins dans l'hexagone !
Aujourd'hui, l'outremer est un enjeu de campagne et c'est très bien. Mais pour le moment, il y a encore des figures imposées pour l'outremer. Les candidats y vont, souvent en coup de vent. 24 h au maximum 48 h dans chaque DOM guère plus. Ces voyages éclairs où la longueur de la distance limite la durée du séjour restent donc, à mon avis, superficiels. Une fréquence plus importante serait bienvenue, mais on sait que les équipes n'aiment pas que les personnalités soient absentes trop longtemps et en général on imagine qu'il faut faire un "paquet groupé", avec un peu de folklore, pour se dire "bon, l'outremer c'est fait"...
D'autres figures imposées, commandent qu'on dise "les outremers". La justification de ce pluriel est qu'il faut souligner la pluralité, la diversité des DOM-COM. Pour moi, c'est intrinsèque à l'outremer. Je ne vois pas ce que cela apporte de plus. Au contraire, évoquer un ensemble unitaire, mais pas uniforme, permet de souligner cette autre partie de la France qui représente deux millions au moins d'électeurs et qui ne se contente pas de fournir des bataillons d'employés de la sécu, de la Poste, de l'AP-HP ou de "produire" des athlètes de haut niveau.
Il faut un programme politique qui fasse sens. Pas un copié collé des formules classiques, pas une déclarations d'intentions pour maintenir des équilibres.
Entre les dirigeants politiques et les citoyens, il y a aussi des superstructures, parfois inamovibles au cœur de l'appareil d'Etat qui doivent elles aussi bouger... C'est probablement ce qui sera le plus dur.
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