Cet après-midi je représentais la Région à l'inauguration des nouveaux locaux de l'Université Paris IV au centre Clignancourt. C'est toute une boucle qui se noue ici. Les locaux de Clignancourt abritaient le premier cycle universitaire de Paris IV Sorbonne pour les étudiants en Histoire, en musicologie ou en langues étrangères comme ceux du Grand Palais avant que n'ouvrent ceux du boulevard Malesherbes.
C'est là que nous avons passé nos premières années, finalement loin de la Sorbonne... Les après-midi du lundi, entre deux TD et un cours d'amphi, il y avait, pas loin, le marché aux Puces.
Paris IV a toujours eu une réputation d'université "conservatrice" pour ne pas dire "réac" et les étudiants qui venaient de l'Institut catholique par exemple, "lookés" "Saint-Nicolas-du-Chardonnet" devaient se sentir bien seuls dans le métro qui les conduisait au-delà du Quartier latin, vers ces quartiers nord de Paris, si colorés !
C'est là qu'au début des années 90, les deux Unef se concurrençaient, face à l'Uni et contre la menace d'une extrême droite estudiantine qui commençait à s'organiser. Cette extrême droite était représentée par le Cercle national Sorbonne (CNS), animé par un libanais devenu éditeur depuis. L'Uni quant à elle n'a jamais réussi à percer, bien que ses fondateurs fussent eux-mêmes professeurs dans cette université.
Quant à l'Unef tout court - pour nous, Unef-SE, elle regroupait des militants organisés, comme il se doit dans l'Union des étudiants communistes. J'y a connu des militants comme l'historien Laurent Frajerman, Julien Zoughebi ou mon pote lilasien Lionel Benharous. Y militaient aussi des socialistes poperénistes dont mon complice au MJS, Philippe Lieutaud. Lors de la réunification des deux Unef réalisée par les deux Karine - Karine Delpas pour l'Unef et Carine Seiler pour l'Unef-ID, certains refusèrent cette fusion et créèrent l'AGEPS qui est majoritaire aujourd'hui à Paris IV.
Enfin, l'Unef-ID où j'ai connu des amis avec lesquels je milite encore comme Mao, Chourka, Marie-Emmanuelle, François, Emmanuel, Nathalie, Anne, Christophe, Elodie ou encore Laetitia... L'Unef-ID qui ne se limitait évidemment pas à Paris IV. Il y avait les voisins de la plus grosse AGE de France de Paris I, l'AGE des filles à Censier - fièrement conduites par Virginie, Karine, Corinne et Céline puis Sly, celle des "durs" à Jussieu... Immanquablement, Paris IV restait au centre avec les bouffées d'après élections qui se terminaient à l'étage de la Pizza Nana, boulevard Saint-Michel, où le patron, Sergio, devait supporter "l'appel du Komintern", "les Cavaliers de Boudienny" ou "la Varsovienne". Deux camarades de cette période ne sont plus parmis nous : Gérard et Boris, mais nous continuons de penser à veux.
De son côté, l'extrême gauche a peu existé en Sorbonne. Il y a bien eu des JCR et des militants de LO, mais mis à part dans les coordinations étudiantes et les comités antifascistes, ils étaient peu actifs.
Le syndicalisme étudiant est probablement l'une des meilleurs écoles de formations qui soient, pour peu qu'on sache, à un moment donné, en sortir et évoluer dans la vie active.
D'abord, il y a bien sûr un apprentisssage social, syndical et politique. La codification des attitudes ou des "looks" était implacables et il n'était pas facile de prendre le recul nécessaire pour comprendre. A la fac, quand on militait, on côtoyait les étudiants syndiqués, les "stals" de l'autre Unef, les "fachos" qui représentaient tout ce qui allait du centre droit à l'extrême droite. On vivait dans l'attente ou sous la menace des descentes des "fafs". Plutôt inexistantes à Clignacourt, mais bien réelles en Sorbonne où le FNJ, le GUD ou l'Action française sont parfois venus toutes les semaines. Les soirées électorales notamment pour le Crous, le Cneser ou les conseils de Paris II étaient l'occasion de véritables opérations de commandos préparés à frapper au cas où. Pour l'occasion, nous recevions le renfort de l'Uejf.
Certains se souviennent encore de cette bagarre entre le Bétar et le GUD dans le hall des amphis de la Sorbonne où un vigile avait reçu un coup de nunchaku sur le crâne !
Il y avait aussi l'importance activité sociale fournie par l'Unef-ID qui avait ouvert sa Maison de l'étudiant (MDE) dans la Galerie Gerson et qui proposait à des tarifs intéressants des fournitures, des livres, des places de théâtre et autres friandises aux étudiants. L'absence de lieu de convivialité en Sorbonne faisait de ce petit local un point de rendez-vous assez commode. C'est là qu'un matin de 1996, avec mes potes Victor et Joël, nous avons appris la mort de François Mitterrand.
On ne saurait parler de la Sorbonne sans évoquer le journal Sorbonne(s) Nouvelle(s) qui marqua son époque. Un curieux concours de circonstance a voulu que l'un de ses animateurs, Franck Boudet, était une vieille connaissance, rencontré un été en Martinique plusieurs années auparavant !
Paris IV ne fut pas qu'un lieu d'intense activité syndicale, même si le syndicalisme étudiant fut une part importante de notre activité à côté et parfois au détriment des études. Avant tout cette université était un haut lieu du savoir et réputée conservatrice. Plusieurs professeurs de lettres ou d'histoire ont marqué laissé un souvenir de fierté car nous avions pu les avoir. Pierre Chaunu - dont l'un des sept amphis du nouveau centre porte le nom - pour la génération d'avant la mienne, Jean Tulard, Georges Soutou ou Julien Feydi qui fut probablement un des plus populaires avec Paulette Leclerc.
François-Georges Dreyfus, qui est décédé il y a peu, fut aussi un de nos professeurs. Ce fut aussi, malgré lui, un contributeur à notre formation ou notre prise de conscience politique car nous pouvions aussi l'écouter sur les ondes de Radio courtoisie... Ce professeur délivrait un cours sur l'analyse du monde contemporain depuis 1945 (HI 145 pour les initiés) et quand au début de l'année il commençait son cours par un bilan de la Deuxième guerre mondiale, il ne mentionnait jamais la Shoah, ou même les camps de concentration.
Quelque soient les différences politiques qui ont existé entre étudiants et professeurs, il y a un sentiment de fierté et une forme de gratitude envers ces personnes qui nous ont transmis ce savoir. Les années d'étudiant sont souvent les plus belles d'une vie sans qu'elles soient nécessairement insouciantes. On aura l'occasion d'y revenir, mais comme avait dit Régis Debray à Pierre Goldman "tu verras bien, un jour nous serons fier d'avoir eu vingt ans dans les années soixante", ça vaut aussi pour notre "génération" qui a grandi entre 1986 et 1995.
Les commentaires récents