Mars 2001 dans la mémoire de la gauche parisienne c’est comme le 10 mai 81 dans la mémoire de la gauche française. D’ailleurs, Mitterrand lui-même n’avait jamais cru qu’un jour Paris basculerait à gauche. Pour nous qui avons vécu les années Chirac-Tiberi, la victoire de 1995 dans le 3e, le 10e et dans le nord-est parisien avait des allures de répétition générale. L’essai a été transformé plus tard aux élections municipales de 2001. Trois ans plus tôt, les socialistes avaient remporté la région avec Jean-Paul Huchon. Cette troisième fissure après la victoire de 1995 et la dissolution manquée de 1997 ouvrait la voie à la prise de l’Hôtel de Ville. Il ne faut pas oublier dans ces moments de bilan, que des élus comme Tony Dreyfus, Roger Madec, Daniel Vaillant ou Michel Charzat ont joué un rôle de précurseurs.
Cette campagne là fut historique et j’y ai pleinement participé. Elle avait duré en réalité plus d’un an, mais à titre personnel, ça venait de loin. Notre génération avait connu Chirac maire de Paris. En 1995, quand Jospin arrive au premier tour de la présidentielle, c’est un immense espoir. Le jour du deuxième tour, j’étais à un pique nique dans l’Essonne avec des amis de l’Unef id de Paris IV. Je rentre le soir à Paris pour retrouver les autres camarades de l’Unef au Batifol, un restaurant sur le Boulevard Saint-Germain, près de Jussieu. La colère est grande mais l’espoir aussi. En rentrant chez moi, je croise mon pote Grégory Martin qui me dit, « maintenant, il faut tout faire pour Bertrand ». Lors des municipales, j’aidais à la campagne Roger Madec dans le 19e. C’est là que j’ai connu Halima et Yacine. Le local était rue Petit. On sillonnait l’arrondissement avec Mao, Thomas, Isabelle, Marie-Gaëlle etc. Dans tous les sens. La victoire fut belle. Dans le 20e, il y avait une barricade avec écrit dessus « ici commence la zone libérée » !
La candidature de Bertrand n’était pas naturelle pour tout le monde. Il y avait eu l’hypothèse DSK pendant quelques semaines puis plus sérieusement le duel avec Jack Lang. Cela réactivait le clivage historique dans la fédération socialiste de Paris entre d’un côté le CERES qui avait disparu mais dont les survivants étaient souvent proches de Fabius et qui donc, soutenaient Lang, et les mitterrandistes et les jospinistes qui, soutenus par les rocardiens « roulaient » pour Delanoë. Delanoë avait quitté la politique pendant dix ans. Il n’était connu que du microcosme politique parisien, l’homme était intègre, droit, gentil et chaleureux. Lang paraissait distant et trop « people ». Il était le chouchou des sondages. A l’époque, je m’occupais du service d’ordre. L’occasion de « côtoyer » de près ces personnes. La campagne interne de Lang fut mauvaise car il était sûr de gagner et donc ne s’impliquait pas. Ses soutiens par contre agissaient comme des mauvais perdants alors que Bertrand n’avait pas encore gagné. Il demeure encore des images dans les documentaires d’époque qui « marquent » à vie les soutiens peu subtils de celui était alors maire de Blois et qui lorgnait sur Paris – tout en ayant, à l’époque, pris le soin de se faire investir par les socialistes blésois « au cas où ».
La seule fois où j’ai assisté à une rencontre avec des amis à moi, partisans de lui, la messe était dite car la première phrase fut « si vous soutenez Jack, il y aura des postes ».
Dans la campagne de Bertrand, il flottait une atmosphère de « carré de fidèles ». Tout cela était très jospinien évidemment. La presse avait fait énormément de « buzz » sur un remaniement. Lang, invité de Stéphane Paoli le matin du remaniement avait juré ses grands dieux qu’il n’irait pas au gouvernement, malgré les rumeurs. Sa priorité était Paris. Quelques heures plus tard, il remplaçait Claude Allègre au ministre de l’Education nationale… Une leçon d’éthique politique ?
La campagne municipale des socialistes pouvait commencer. Les heures passées à arpenter Paris, à pieds, en voiture électrique, à travailler au siège de campagne, rue des Juges consuls, là où disait-on, Madonna avait donné sa culotte à Chirac restent des moments riches, partagés avec Cyril, David, Aurore, Thomas. Certains ont été perdus de vue, d’autres sont devenus de vrais amis. Une agence de com, Anatome, exemplaire. Un candidat qui « y » allait, extrêmement conscient de l’enjeu, soucieux de son image et jaloux de son style. Bien sûr, Bertrand est un vrai parisien, râleur et colérique, mais pour le coup, rarement distant. Le rassemblement de la « fédé » de Paris, si riche en personnalités n’allait pas de soi, mais il a été réussi.
Il est frappant de constater combien la droite parisienne qui avait, pour ainsi dire “fait corps avec le pouvoir” ne s’en est jamais remise. Aucun dirigeant ne parvient à s’imposer à la tête des conservateurs et c’est au point que l’on parle encore de parachutage sans aucune garantie que l’atterrissage soit victorieux. Cela fait dix ans que la droite parisienne est, pour ainsi dire “à poil”. Le bilan d’une mandature et demi ne se résume évidemment pas aux vélibs, aux couloirs pour bus, à Paris plage ou les Nuits blanches. Si en 2001, il s’agissait avant tout d’un rejet de la droite et d’une réponse favorable au visage qui était celui de la gauche, la victoire de 2008 s’est faite sur fond de vague rose municipale dans les grandes villes, rappelant aux plus anciens, la victoire décisive de 1977. L’action de Bertrand Delanoë et de son équipe municipale, tous débutants en 2001, qu’il s’agisse d’adjoints ou de collaborateurs solides a été jugée positivement par les sondeurs et les électeurs.
Beaucoup de promesses ont été tenues. Même si les socialistes sont parfois ingrats et querelleurs, nous sommes tous fiers de « Beber », maire de Paris.
Cette victoire de 2001, renforcée en 2008 a aussi transporté la fédération PS de Paris dans une dimension inconnue, celle de la « municipalisation » avec l’étroitesse des relations entre la ville et la fédération. C’est un concept ancien que le socialisme municipal, à l’échelle parisienne, il mérite, à la manière jospinienne d’ailleurs, de se « définir en marchant » de sorte qu’il débouche sur une méthode et une théorie autant qu’il est articulé sur une pratique. Il est important de mener un inventaire permanent sur la qualité des relations entre la mairie centrale et les arrondissements, équilibrer action politique et administration, réduire l’inévitable oxydation que représente la bureaucratie, assurer le dynamisme de la concertation. Bref, lutter contre « la blasitude » et l’arrogance que confèrent le temps et l’absence d’adversaires menaçants…
Delanoë a su réussir la transition entre la république bananière qu’était cette ville RPR qui avait inféodé une bonne partie de l’administration municipale – par ailleurs talentueuse – aux intérêts du clan Chirac Tiberi, et la démocratisation d’une ville rendue à ses habitants. Sans purges, sans violence.
On le voit, il ne s’agit pas simplement de se satisfaire d’un bilan globalement positif et de se dire “si nous ne faisons pas de bêtises, nous sommes encore là pour trente ans”. Si le pari de Bertrand Delanoë a été tenu, il ne faut pas croire pour autant que Paris soit “tenu”. On l’a vu aux dernières élections européennes. Les conditions de la poursuite des réformes sont importantes. Il faut définir le socialisme municipal parisien, en saisir les ressources, les originalités, les apports, mais aussi les faiblesses et les limites. Il faut travailler sur les perspectives de l’après 2014 et construire le chemin pour y parvenir.
Cela n’a rien à voir avec une querelle de candidatures, mais avec une réflexion politique sur la Ville puisque dans ce nouveau siècle, le fait urbain est majoritaire.
C’est en ce sens que l’imbrication Ville-Région est fondamentale et c’est la raison pour laquelle, il faut poursuivre l’intégration de Paris dans son environnement régional. C’était un des enjeux de la signature de l’accord sur le Grand Paris en début d’année.
La démonstration a été faite depuis mars 2001 c’est que la réforme durable, c’est possible. Il s’agit là d’une leçon politique nous devons collectivement tirer d’abord pour nous-mêmes.
On ne revendique pas les suffrages des électeurs pour soi-même.
Et puis les symboles se sont bousculés. On n’a pas eu les « JO », mais on a pu célébrer avec une mairie de gauche les 60 ans de la Libération de Paris et les 140e de la Commune. Deux événements majeurs qui doivent rappeler à chacun que Paris a toujours eu un temps d’avance quand il s’agit de se révolter contre l’injustice.
Merci Bertrand et à toute l’équipe. L'Hôtel de Ville est vraiment devenu "la maison de tous les Parisiens".
Les commentaires récents