Depuis aujourd'hui, je suis à Pékin pour un voyage d’études du Parti socialiste avec Jean-Christophe Cambadélis. Autant dire qu’il s’agit d’une aventure particulière dans un pays particulier.
J’avoue ne jamais avoir nourri de fascination à l’égard de la Chine, en tout cas, pas le même intérêt que d’autres pays comme le Brésil, les Etats-Unis, Israël ou encore la Grèce. La cuisine chinoise me plaît beaucoup moins que la cuisine japonaise et surtout indienne par exemple, mais du point de vue historique, culturel et politique, la Chine mérite plus que jamais son surnom classique, « l’Empire du milieu » tant il est vrai que ce pays, le plus peuplé du monde est devenu tellement central en quelques années, que la notion même d’occident s’en trouve bouleversée.
Jusqu’ici, la Chine c’était les images d’Epinal sorties du Lotus bleu, du cinéma – des films comme le Cerf volant bleu, Tigre et dragons, Hero et les nombreux films de kung fu qu’on louait en vidéocassettes dans les années 80. C’était les restaurants que l’on trouvait aussi bien aux Terres Sainvilles à Fort-de-France que bien plus tard n’importe où à Paris. D’ailleurs en Martinique, où il y avait également eu une émigration chinoise, les mélanges avaient eu lieu, et quelques familles étaient connues dans le monde du commerce ou de la médecine : les Yang Ting et surtout le clan Ho Hio Hen…
Depuis longtemps, Belleville n’a plus rien à envier au 13e arrondissement de Paris et tout Parisien qui se respecte a au moins une fois dans sa vie mangé au Président ou fait ses courses chez Tang.
Il y a bien sûr la culture et la religion. Les apprentis stratèges en politique ou dans le monde des affaires ont tous leur exemplaire de l’Art de la guerre de Sun Zi. Tout le monde connaît au moins de nom la Cité interdite, la Grande Muraille ou la place Tienanmen.
La Chine c’est aussi un univers politique. C’est bien l’influence du communisme chinois dans une partie de la gauche française des années 60 qui pousse des centaines de militants, anticolonialistes en quête d’une alternative non totalitaire au stalinisme à se fasciner pour le maoïsme au point de porter aux nues la Révolution culturelle jusque dans le cinéma. De 1965 environs au milieu des années 70, « Mao » est à la mode d’autant que Zhou En Lai fait beaucoup pour placer la Chine dans le concert des nations avec l’ouverture des relations avec les Etats-Unis – précisément, le jour de ma naissance, le 27 février 1972, Nixon entamait une visite officielle historique et rencontrait Mao Zedong. L’année d’avant, la disparition de Li Biao avait fait l’objet de toutes les conjectures.
Même la droite, avec Peyrefitte saisissait l’importance de ce qui se produirait « quand la Chine s’éveillera ». On connaissait les sinologues célèbres comme Domenach et le livre les Habits neufs du Président Mao avait été un des premiers textes à dévoiler la réalité du maoïsme. Pourtant, même encore aujourd’hui, le sens de la formule du fondateur de la République populaire de Chine est resté légendaire et même si on condamne ses crimes et ses erreurs, il n’en reste pas moins comme Lénine, un théoricien politique et un stratège absolument intéressant à lire, ne serait-ce que du point de vue intellectuel.
Les théories de Mao sur la guerre révolutionnaire ont joué un rôle décisif dans les conflits de l’après Deuxième guerre mondiale. Le Viet-Minh, en les appliquant, a défait l’armée française en Indochine. Pour lutter contre la « Guerre subversive » que menaient le FLN en Algérie et les guerilleros d’Amérique latine, les services français et la CIA durent maîtriser comme de parfaits gardes rouges, les développements et applications pratiques qui permettent au « révolutionnaire d’être au milieu du peuple comme un poisson dans l’eau ». Prix élevé : en déplaçant la guerre du champ de bataille vers les rues et les quartiers des villes, au milieu des populations non combattantes, on a rendu la guerre encore plus cruelle. Quand l’ennemi n’a pas de visage, tous ceux qui ont un visage deviennent l’ennemi…
Quel militant ou dirigeant politique, même social-démocrate pur sucre n’a pas employé ne serait-ce qu’une fois des formules comme « Grand bon en avant », « Monter à l’assaut du ciel », « Bande des Quatre », « Longue marche », « Feu sur le quartier général », « Petit Livre rouge », « Révolution culturelle » ou « Grand Timonier » ?
Nos parents se souviennent de la « une » de Libé en chinois de 1976 à la mort de Mao. Je me souviens, jeune enfant des procès vus à la télé en France de la Bande des Quatre. Et puis, bien sûr, notre génération, celle de la Chute du Mur de Berlin et de la fin de l’Union soviétique se souviendra longtemps des événements de la place Tienanmen, cette image qui a fait le tour du monde d’un militant devant une colonne de chars.
Deng Xiaoping, Li Peng, Jiang Zemin, Hu Jintao, les noms des dirigeants chinois sont connus et on suit avec intérêt la manière dont « le socialisme à la chinoise » se meut depuis les années 80 dans un monde où le Communisme a atteint les limites de son histoire si on se réfère à l’URSS qui n’existe plus et aux pays comme la Corée du nord, Cuba ou encore le Vietnam dont les régimes, tous établis à la suite de la conquête du pouvoir par le PC, sont aujourd’hui plus ou moins isolés du reste du monde.
Nous avons été accueilli par trois accompagnateurs, membres du PCC rattachés à son département international qui comprend un demi millier de permanents. Notre minibus arbore clairement l’emblème du Parti. Notre hôtel, le Wanshou semble appartenir aussi au Parti. D’ailleurs, il y a très peu de clients. Le buffet ne propose que de la cuisine chinoise, mais elle est très variée et comme elle comprend souvent des aliments bouillis, il est possible de composer soi-même sa soupe. Par contre, peu de desserts !
Comme pour tout voyage, on mesure la bonne santé de la mondialisation, ou plutôt de l’uniformisation partielle de nos sociétés malgré l’endroit où on se trouve par le caractère plus ou moins familier des enseignes d’autant qu’aucun de nous ne lit le chinois. Autant l’avouer, être en Orient, dans un pays, la Chine, qui n’est pas n’importe lequel avec tout ce qui découle de ce qu’on connaît de l’histoire des pays dirigés par un parti unique communiste, conduit à avoir quelques idées bien arrêtées. Du coup, on est à l’affût des « preuves ».
Sur le trajet entre l’aéroport et l’hôtel, si on met de côté quelques banderoles, il n’y a aucun signe visible de la nature du régime sauf quand on aperçoit ici ou là quelques bâtiments officiels. Mais on boit du Coca Cola et du Sprite à volonté au repas. On est passé devant un MacDo et quand on va à la Grande Muraille, il est possible de se restaurer dans un KFC…
Comme dans les villes du « sud », on aperçoit ce mélange de modernité et de tradition. Les vélos comme moyen de transport des ouvriers ou de gens venus des campagnes sont nombreux et ils croisent les voitures dont le nombre est un souci pour les dirigeants de Pékin… Des voitures de toutes tailles et de toutes marques, fabriquées en Chine.
Le poste de télévision est lui aussi un excellent indicateur. Plusieurs chaines de la télévision d’Etat, d’autres chaines comme NHK, Al Jazeera, RTR Planeta, BBC World, TVE … mais pratiquement aucune chaine américaine. Et toujours pas France 24.
En évoquant la chose avec Jean-Christophe, nous constatons que dans tous les voyages que nous avons effectués depuis deux ans il n’y a qu’en France que l’on peut voir France 24. A croire que c’est là un symbole de la réalité du Sarkozysme : la chaine est dirigée par une grande journaliste, mais, accessoirement épouse du ministre des Affaires étrangères et malgré l’agitation de Sarkozy dans tous ses échanges avec les chefs d’Etat, la voix de la France dans le monde, ne serait-ce que par la télévision, n’est pas de la hauteur des grands médias internationaux puisque personne ou presque n’y a accès.
Peut être va-t-il falloir qu’à sa manière, la France se réveille.
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