Le déballage sur l'identité nationale continue avec de nouveaux épisodes. Le premier, un sondage, cyniquement publié - et donc commandé par le Parisien - indique que 60 % des Français sont opposés aux minarets. La presse internationale pointe la médiocrité et le danger de l'initiative prise par Sarkozy. On entend quelques petites phrases témoigner de la profonde division à droite sur la pertinence de ce débat...
Il y a quelques mois, Benoît Hamon déplorait qu'il y ait "toujours un socialiste pour être d'accord avec Sarkozy". La formule est travaillée, mais elle est juste. En témoignent les récentes positions de Julien Dray sur l'affaire de l'Epad et plus récemment sur le débat sur l'identité nationale avec, la pique adressée à Jean-Christophe Cambadélis à qui il demander de "s'excuser" d'avoir établi un lien entre Besson et Laval.
Pour les initités, il y a de quoi rire de bon cœur sans se moquer. Julien a expliqué que Jean-Christophe retombait là dans les travers de sa jeunesse et qu'en ex lambertiste, il continuait à caractériser l'autre comme un stalinien ou un fasciste dès lors qu'il n'était pas d'accord. Pour ne trouver que cet argument pseudo-psychologique, on se demande qui est vraiment "prisonnier" de sa jeunesse. Là où, Juju a en effet "rompu" avec la sienne c'est quand, il figure parmi les grands absents de l'appel de SOS racisme qui demander l'arrêt du débat sur l'identité nationale... Quand on connaît l'importante contribution de Julien à ce combat contre la haine, on ne peut que se désoler de ne pas le voir combattre avec "nous".
Manifestement, Julien a voulu qu'on sache qu'il était de retour, il lui fallait trouver un espace politique dans une situation et une configuration qui avait profondément changé pour lui : dans le courant des amis de Ségolène Royal, Vincent Peillon menait avec succès la bagarre pour l'autonomie, les amis de Julien choisissant quelque chose qui se rapproche du "soutien sans participation" par prudence et surtout pour ne pas donner l'impression de suivre. Quand on fait son retour, il est normal de le mettre en scène histoire de peser là où l'on veut peser. Il y avait plus habile, et surtout, plus "politique". Mais pour l'intéressé, le moment est encore celui où l'on garde ouvert le carnet des soutiens dans l'épreuve et des "autres". Peut-être y a-t-il là, un peu d'égarement.
Les deux hommes se connaissent bien et dans la pique du premier qui n'est d'ailleurs qu'une réponse à une question de journaliste, les initiés noteront que ce qui motive c'est ce vieux ressort de la différenciation entre "frères ennemis" des AG étudiantes passées et dont il reste parfois quelques traces qu'il faut connaître pour décrypter et qui demeurent aussi amusantes qu'inutiles.
L'égarement existe encore chez les observateurs, les commentateurs et les acteurs du débat politique en général où l'on voit que dans la riposte judiciaire d'un ministre face à un député de l'opposition et dans la réprobation que l'on a entendu ici ou là chez quelques bonnes âmes, il semble qu'aujourd'hui, faire de la politique c'est comme jouer au rugby sans placage ni mêlée, ou jouer au foot sans feintes ni dribble. Surtout, pas de vague, pas de mot trop dur, pas de plis, tout doit être lisse. On ne livre pas de bataille avec des sabres en bois et des soldats de plomb. Si la politique consiste aux moyens de transformer le réel, elle commence par une bataille sur l'interprétation du réel et elle se poursuit par une lutte pour faire triompher la meilleur orientation. Ceux qui pensent que la noblesse de la politique c'est uniquement se contenter d'avoir un programme se trompent. Les socialistes ont assez fait l'expérience que même le meilleur des programmes ne suffit jamais.
Dans le débat sur le "débat", évidemment, c'est l'analyse des mots, le choix du moment et des moyens qui fait sens et qui explique pourquoi à Mediapart, à SOS comme au PS et dans le reste de la gauche, pourtant viscéralement passionnée par les débats et les controverses, on refuse de parler d'identité nationale avec ceux qui renvoient les Afghans chez eux. Comme on l'a déjà écrit, la droite n'a même pas réussi à trouver la moindre caution intellectuelle pour donner un semblant de justesse à son action. Pire, quelques temps après le début du débat, Levi-Strauss a tiré sa révérence... Puis est venue la trêve des confiseurs pendant laquelle, la France s'émouvait des soucis de santé du plus célèbre des évadés fiscaux qu'une carrière principalement française a retransformé en belge qui réside en Suisse.
Un débat sur l'identité nationale, au fond, n'aurait eu de sens qu'à la veille d'une élection présidentielle au cours de laquelle un candidat aurait à cœur de vouloir relever la nation qu'il aurait jugée tombée. Avec le m'as tu vu qui caractérise le sarkozysme, c'est un véritable aveu d'échec, que de lancer ce débat à mi mandat. Si c'est un débat pour exciter ce qu'il y a de pire à droite pour trouver les réserves électorales de l'UMP au seul endroit où elles se trouvent, c'est-à-dire à l'extrême droite, la ficelle est grosse, chacun l'a vu. S'il s'agit de constater que la Nation va mal, cela veut dire que Sarkozy a été, malgré ses efforts pour durcir le conservatisme et le décomplexer, incapable de changer quoique ce soit, si ce n'est en pire. C'est donc que lui aussi est égaré et qu'il navigue à vue.
La gauche a donc une mémoire que la droite ignore par cynisme ou par désintérêt, jamais par naïveté. Quand j'étais étudiant, les militants de l'UNI, lançaient aux nervis du GUD, "dans dix ans tu seras au RPR". Pas entièrement faux. La filière est ancienne. Les ruptures idéologiques, partielles parfois. Ces gens-là, accordons leur cela, sont nettement de droite au point d'assumer une certaine porosité parfois, par conviction ou par électoralisme. Pourquoi alors, leur donner raison quand on est de gauche ? Une opposition de gauche à la droite n'est pas efficace si elle commence par concéder que la droite a raison ou qu'elle a des circonstances atténuantes. On trouvera probablement ce propos sectaire, mais, la gauche moderne, ce n'est pas une variante modérée frappé du poing et la rose, du discours et de l'agenda installés par la droite.
Pour finir, si on revient un peu sur cette affaire Besson-Laval, certains ont trouvé la caractérisation osée. C'est qu'ils n'ont eu qu'une lecture superficielle de la vie de Laval. Il s'agit de son évolution psychologique et personnelle et bien sûr des conséquences politiques de ses choix de carrière. L'Histoire est toujours riche de moments où les hommes se révèlent. En 1940, il n'allait pas de soi d'entrer dans la Résistance, ni de soutenir Pétain quand on connaissait son parcours politique. Il y a eu des antisémites au sein de la SFIO qui ne voulaient pas que le parti s'engage du côté dreyfusard, il y a eu des socialistes pour voter les pleins pouvoirs à Pétain et d'autres socialistes pour ne pas le faire, il a y eu des socialistes pour approuver la militarisation de crise algérienne et la Cinquième république, comme il y en a eu récemment pour soutenir le "rôle positif de la colonisation". A droite aussi il y a eu des rebelles et des égarés. En politique, il importe de caractériser les choses pour leur donner un sens ou une lisibilité, car bien souvent, les politiques les plus injustes sont soigneusement maquillées. La politique de Besson et les discours de Sarkozy "autorisent" beaucoup de choses. Loin du totalitarisme technologique des téléphones mobiles qui peuvent aujourd'hui filmer à la sauvette la moindre bavure ou le moindre dérapage, mais qui permet de mesurer la bonne santé de la vigilance républicaine de nos concitoyens, il y a l'hystérie trop longtemps contenu des beaufs et des cons qui se sentent enfin autorisés à dire "tout haut ce que tout le monde pense tout bas", mais "qu'ils ne peuvent exprimer à cause de la bonne conscience antiraciste de gauche".
J'ai lu sur un blog récemment que "les scandaleuses expulsions de sans papiers n'avaient rien à voir avec les fours crématoires". On voit bien là à quelles dérives mène ce débat sur l'identité nationale. Là où il a lieu, il peut libérer une parole qui n'a rien à voir avec la raison.
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