Nous vivons une époque tragique pour la démocratie, celle où l'image prend le pas sur le débat. L'affaire Hortefeux en est le dernier exemple. Désormais, donner à voir aux internautes ce qui est caché ou sensé l'être, c'est simple comme un coup de fil. Au PS, on a installé un brouilleur dans la salle du Bureau national après qu'un dirigeant a permis, vie son mobile, à des journalistes d'écouter en direct ce qui se passait. A l'Université d'été du même PS et de l'UMP, des vidéos volées ont montré, une salle qui chante - donnant le sentiment d'un parti ringard ce qui est faux - ou une ministre qui se déhanche - ce qui n'a rien de gênant.
Mais l'effet vidéo est là : l'image cède le pas immédiatement à la sanction, sans appel et sans délibération. Une fois de plus, les politiques sont prévenus, ils sont sur écoute en permanence. N'importe qui peut, avec son mobile, sans volonté de nuire parfois, vouloir immortaliser l'instant par une photo, un enregistrement sonore et le publier sans mesurer les conséquences. Cette idée du flagrant délit tombe bien dans un contexte de suspicion généralisé car personne ne pense à relativiser les choses. Le dérapage de Devedjian sur Comparini aurait été une vraie faute dans un discours. Qui n'a pas entendu tel dirigeant politique se lâcher dans l'intimité contre tel ou tel ! Après tout, nous le faisons bien nous-mêmes, pourquoi en devrait-il en être autrement pour un politique dans un cadre privé ?
Mais s'agissant de l'affaire Hortefeux, c'est plus embarrassant. La vidéo publiée par le Monde ne permet pas de sortir les choses de leur contexte. Quelques dirigeants landais de l'UMP - on ne vient pas impunément dans les Landes quand on est de droite - blaguent avec un ministre et un ex-ministre. Il y a un militant dacquois de l'UMP d'origine arabo-portugais, mais dont le côté arabe visible pèse plus. Il n'est pas un militant naïf. Il a tenté le PS, il a atterri . Il était colistier de Jacques Forté, le maire UMP de Dax battu par un socialiste lors des dernières municipales... Les remarquent fusent sur le registre du "bon arabe" qui "boit de l'alcool et mange du porc". Parmi ces dérappeurs qui, à travers un humour gras digne des Grosses Têtes version Carlos e Montagné ou d'un programme de TF1, il y a la responsable UMP des Landes, dacquoise elle aussi et Hortefeux d'enchaîner sur le danger du nombre... A aucun moment on ne peut croire qu'il parlait des Auvergnats à ce moment. De toutes façons, le ministre de l'Intérieur, déjà coutumier de propos "limites" prenait un risque à se prêter à cette partie de déconnade innocente quand on est de droite sur un thème classique. "Je ne suis pas raciste puisque je parle à un Arabe et que je plaisante avec lui". Mais il faudrait s'interroger sur un travers trop présent dans ce pays où la liberté de ton est par ailleurs appréciable. Pourquoi, lorsqu'on a des amis noirs ou arabes et qu'on est blanc, on choisit régulièrement un humour fondé sur les différences ou l'identité ? Certains noirs et arabes s'y prêtent volontiers d'ailleurs. D'autant qu'on n'utilise jamais le même registre avec d'autres "catégories".
Bien sûr, Hortefeux était à l'abri tant que ses propos ne sortaient pas du cadre. Mais dès lors qu'ils sont rapportés, venant d'un proche de Sarkozy, ministre de l'Interieur sous un gouvernement plus à droite que jamais, la chose fait image et fait sens. Tous les éléments sont réunis pour que la phrase ait valeur de dérapage. En clair, avec des conservateurs au pouvoir, une politique plus sécuritaire que jamais, la permissivité dans le langage est possible dès lors que par ailleurs, les ressorts de la vigilance antiraciste de gauche tels qu'on les a connus dans les années 80 et 90 semblent ne plus fonctionner. Après tout, quand Sarkozy dit " la France, tu l'aimes ou tu la quittes ", la vieille droite française peut se croire autorisée à dire "on est chez nous".
La séquence médiatique s'est accompagnée d'un retour en arrière sur les précédentes sorties de Brice Hortefeux, laissant supposer que le ministre de l'ordre est un multirécidiviste...
Bon bien sûr, la gauche a raison de réagir et de demander des comptes, mais au bout du bout, il faudra par ailleurs que le Parti socialiste ait l'audace de pousser sa propre rénovation jusqu'à investir et soutenir jusqu'au bout un candidat socialiste à la présidence de la région Languedoc-Roussillon. Mais ceci est (probablement) une autre histoire.
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