Pour ceux qui se laissent impressionner par la puissance de l'Union pour une majorité populaire (ou présidentielle), rappelons ses deux faiblesses principales. La première, c'est le fait que ce parti qui se voudrait unique, est en fait isolé car il n'a pas d'alliés. Dans le cas d'une élection à deux tours, il ferait le plein de ses voix au premier et dans le cas d'un second tour, comme ce sera le cas lors des élections régionales du printemps prochain, cela signifiera qu'il ne disposera pas de réserves. Les formations satellites ou supplétives que sont le CNI ou le Nouveau centre n'ont pas de réelle assise électorale capables de compenser le déficit en voix sur un scrutin.
La seconde faiblesse de l'UMP, c'est sa nature. Qui dit parti présidentiel dit parti personnel, tourné uniquement sur le rapport à un individu. C'est la nature même de la droite française sous la Cinquième république. Les partis comme l'UDR ou l'UNR sous de Gaulle et Pompidou avaient pour fonction d'organiser la majorité présidentielle. Le RPR est né pour organiser l'ascension et l'évolution chiraquisme, d'abord municipal puis présidentiel. L'UMP, comme le RPR correspond à une demande de perspective sur fond de fin de règne ou de fin d'une époque. l'UDF fut, pareillement, fondée pour organiser un deuxième mandat giscardien, ce qui échoua. Plus que le RPR, l'UDF fut ensuite à la merci des dauphins potentiels pendant près de 25 ans jusqu'à ce que Bayrou s'impose et que son parti explose lorsque celui-ci voulu, comme Giscard avant lui, affirmer une ambition présidentielle alternative à celle du RPR-UMP.
Le Modem n'est pas autre chose qu'une nouvelle expérience de machine présidentielle.
L'UMP en face, a réussi son pari en 2007, être, pour la première fois depuis 1981, reconduite aux affaires. La droite qui avait vu dans le 10 mai de cette année là une erreur de l'Histoire, a su bel et bien prendre sa revanche. Mais elle semble dans une situation qui ressemble à celle de la gauche d'alors. En 1981, l'hégémonie culturelle du marxisme prenant fin face à l'émergence du néo-libéralisme. Thatcher et Reagan en étaient encore à leurs débuts au pouvoir. La fin des Trente glorieuses plongeait le monde dans une crise économique durable, la plus grave depuis les années trente. La gauche française avait gagné sur une dynamique qui allaite bientôt s'épuiser.
Près de trente ans plus tard, renversement de cycle. La crise qui a début en 2008 marque de manière plus forte que l'émergence de l'altermondialisme, la fin de la domination du néo-libéralisme à ceci près qu'il ne semble pas exister d'alternative politique. La gauche peine à convaincre qu'elle pourrait faire autre chose. Dès lors, puisque le temps des utopies et des idéologies est derrière nous et que l'hégémonie du conservatisme et du libéralisme demeure encore, la droite peut, sans craindre d'être battue pour le moment, donner l'illusion de se convertir aux idées de gauche, en tout cas, celles qui sont redevenus à la mode.
De toutes façons, seul l'électorat de droite veut que la droite soit clairement de droite. Les consciences morales qui harcèlent la gauche à longueur de tribunes, de pamphlets ou d'appel, n'ont pas leur équivalent à droite. Où alors, ils sont marginaux. La maison est bien tenue et l'essentiel est ailleurs.
Les partis de droite sont, c'est bien connu des partis d'ordre. On y débat peu et on y vote encore moins dans la mesure où la régulation se fait plus par autorité que par recherche d'un consensus admis par le plus grand nombre. Les partis de droite, de toutes manières, sont là pour organiser la conquête et l'exercice du pouvoir par les conservateurs et jusqu'à récemment, ils se souciaient peu d'être des lieux d'élaboration d'une offre politique ou d'une réflexion idéologique. Au moins jusqu'à ce que la gauche gouverne durablement. Car en effet, si l'exercice du pouvoir et l'alternance ont changé la gauche, la droite de son côté, n'est pas restée intacte. La gauche a du apprendre à passer de la protestation et de l'aspiration à la conquête du pouvoir à l'exercice du pouvoir et du coup à ce qu'Alain Bergounioux a appelé "le long remords du pouvoir". Les socialistes ont dû apprendre que gouverner, cela voulait dire, au mieux, patienter et composer, au pire, oublier et se renier.
Du point de vue de l'extrême gauche et d'une certaine élite "progressiste", il semble même que le seul fait d'exercer le pouvoir ait une fonction corrosive sur la gauche. Pour la droite c'est différent et l'alternance a plus qu'érodé, elle a attaqué les structures même, le squelette de la droite. En effet, la droite possédait le pouvoir. 1983 et surtout 1986 ont sonné comme des retours à la normale. La victoire de 2002 lui donna un sentiment de revanche encore plus fort car une autre génération était aux commandes, une génération qui finalement, n'avait, comme pour la gauche des années 80, connu "que" les socialistes au pouvoir. Elle se disait moderne, en phase donc avec le libéralisme et le conservatisme des années Bush qui commençaient. Elle avait en plus, le temps pour elle.
Nombreux furent les observateurs qui décrétèrent que désormais le mouvement était à droite et la conservation à gauche. Soudainement, on oublia la brutalité des années Pasqua, la corruption des années Chirac et la trahison des jeunes années Sarkozy pour épouser ce nouveau pouvoir et lui donner des bases théoriques d'autant plus solides qu'elles venaient de gens venus de la gauche. Les nouveaux convertis sont souvent les plus fanatiques. La droite qui a toujours eu mauvaise conscience se trouva une nouvelle virginité et une nouvelle fierté en se renouvelant intellectuellement, comme souvent, par la gauche.
Inutile en effet de cherche à diaboliser la droite en dénonçant des collusions avec l'extrême droite ou un passé militant fasciste à tel ou tel, l'étendu du champ couvert par l'UMP lui permet d'assumer sans rougir, si on peut dire, une offre politique jadis réservée au Front national. Puisqu'il faut gagner et garder le pouvoir, tous les coups sont permis, y compris, lorsqu'il n'y a plus de risque électoral, un discours radical de droite que l'on pense "balisé" car il n'y aura pas de dérapages. Or, le fait de s'appuyer sur "la France qui se lève tôt pour aller travailler", "la France d'en bas", cette "France qui veut vivre tranquillement" c'est flatter cette "majorité silencieuse" - le concept américain ne prend pas en France d'ailleurs - et donc, fatalement, alimenter ce désir d'une France mythique éternelle. C'est ce que Sarkozy met en avant avec les coups de canifs qu'il porte au contrat laïque.
Hégémonie culturelle du libéralisme, opération de rénovation d'une pensée politique, décision d'assumer son conservatisme, stratégie de ringardisation et de débordement de la gauche, voilà quelques éléments qui expliquent le succès de la droite d'aujourd'hui. Mais le tableau ne serait pas complet sans la dimension de communication qui accompagne toute entreprise, politique ou autre depuis toujours. C'est bien connu, sans que l'on tombe dans la caricature. Le monde de l'entreprise et de la finances est souvent proche des milieux conservateurs. Il y a des liens plus ou moins étroits et les grands patrons, jadis à la tête de grandes entreprises se sont mis à la finance et parfois ils ont acquis un ou plusieurs titres de presse papier ou audiovisuelle. Il existe ainsi autour de l'UMP tout un réseau politico-médiatique aux ramifications qui plongent jusque dans le monde économique où intérêts communs et opinions partagées convergent.
Il arrive que des dirigeants de droite ne se privent pas de jouer l'intimidation à l'égard de journalistes, comme s'ils considéraient que la servilité allait de soi. Personne n'a ainsi oublié les sorties de Nicolas Sarkozy avant et après son élection à la présidence de la République...
L'UMP, parti total qui communique comme les entreprises. On le voit dans la manière dont ses dirigeants s'exprimer. Coaching, formules bien ciselées qui font que ses portes paroles sont ma foi, prévisibles, sauf dans le domaine des outrances dont Lefebvre s'est fait une spécialité que personne n'a envie de lui disputer. Dernière trouvaille, la "carte UMP premium" qui permet à des cotisants au dessus d'un certain plafond de pouvoir rencontrer Sarkozy... Bel exemple d'égalité.
Avec un PS qui a perdu de son attrait, l'UMP occupe un vide qui lui permet, sans rougir, de revendiquer de représenter aussi la gauche, tout en tendant la main à la droite la plus dure.
Bref, un parti toujours gaullien dans la manière dont il se voit lui-même, c'est-à-dire, pas très démocratique en réalité.
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