Nicolas Sarkozy, dans son intervention télévisée du 5 février a parlé des problèmes des Français avec force d’exemple, mais dans son développement, il a oublié les Antillais.
Peuple susceptible qu’il est facile de réduire à une masse infantile et naïve, les Ultramarins – par ce terme on désigne tous les habitants des DOM-TOM, c’est plus de deux millions d’électeurs. La plus grande circonscription électorale de France pour ce qui concerne les élections européennes à venir.
Si la France est « le pays des grèves », les Antilles sont le foyer de grèves plus dures. La distance donne l’impression d’une certaine indifférence. Il est vrai que dans la presse nationale, on parle assez peu de l’outremer, sauf quand ça pète…
Aux Antilles, le mouvement syndical est souvent radical et historiquement proche des milieux indépendantistes, à côté des grandes centrales comme la CGT, la CGT-Force ouvrière, ou la CFDT. La CGT(M) est majoritaire à la Martinique, il existe plusieurs syndicats non affiliés aux centrales nationales qui tiennent un discours plus radical et qui ont des liens avec la mouvance indépendantiste et l’extrême gauche. Il existe donc, derrière les mots d’ordre de grève une lecture politique qui situe le conflit social dans un contexte politique dont le débouché ne peut –être que l’émancipation. On pourra toujours ressortir le vieil argument selon lequel, toute fierté nationale, toute souveraineté des îles ne protégerait pas à termes, la Martinique ou la Guadeloupe de la situation qui existe dans les autres îles de l’archipel comme la Dominique, Sainte-Lucie, Surinam, la République dominicaine ou sa voisine Haïti. Ces petits états caribéens sont les pays de provenance des immigrés des DOM. Et le discours xénophobe qui existe en métropole existe aussi outremer, même si le fait ethnique ne joue pas.
Les conflits sociaux outremer sont donc souvent durs car la vie y est difficile. Quiconque a voyagé là-bas connaît la cherté de la vie. Tout coûte cher. A commencer par les billets d’avion. Sur place, les prix sont souvent très élevés. Crise énergétique ou non, le prix du carburant flambe dans des îles ou sans voiture on est à poil. Pas étonnant qu’à un certain moment, on arrive à saturation.
Le collectif Liyannaj kont pwofitasyon (LKP) (Rassemblement contre l’exploitation) rassemble plus d’une trentaine d’organisations, syndicats ou associations culturelles. Il est lié au syndicat majoritaire en Guadeloupe, UGTG. Un syndicat fondé en 1973 et qui se situe dans la mouvement indépendantiste. Le fait que ce syndicat qui rassemble près de 5000 adhérents obtienne un tel écho lors de ce mouvement est significatif du niveau de ras-le-bol.
Il ne faudrait qu’on se trouve. La droite aurait beau jeu de vouloir ignorer le mouvement ou de tenter de contourner les organisations syndicales sous prétexte qu’elles professent une idéologie indépendantiste. Imaginez le cauchemar absolu : gauchiste et indépendantiste…
Mais le mouvement a pris, le peuple est dans la rue. Il est donc légitime.
La presse française s’est émue du tournant racial qu’a pris le mouvement. En effet, ironie du sort, le mouvement de grève a éclaté en Martinique quelques jours avant la diffusion sur Canal Plus d’un document choc « les derniers maîtres de la Martinique ». Document choc car il présente la réalité et la diversité des Békés, ces blancs créoles, descendants des colons planteurs et propriétaires d’esclaves, propriétaires des plantations, des usines ou des distilleries…
Historiquement, la lutte des classes dans les anciennes colonies d’Amérique a toujours eu une coloration de lutte des races – celle des Blancs qui possédaient tout contre celle des Nègres qui ne possédaient rien. Même avec toutes les nuances, il reste ces faits intangibles. Le refus du métissage – les Békés se sont longtemps mariés entre eux, assumant les risques liés aux mariages consanguins, le racisme, le culte de la terre… Cette classe possédante a tout tenté pour empêcher ou retarder l’émancipation portée par la République, quitte, du temps de la Révolution française, à envisager de livrer les îles françaises aux Anglais. Les Békés d’aujourd’hui ne sont pas tous entrés dans l’Histoire ou, plutôt dans le monde réel. Bien sûr, ils sont liés à la droite française – Bernard Pons coule une retraite heureuse parmi eux en Martinique.
Si vous demandez à un Antillais de vous raconter l’histoire des luttes sociales après 1848, vous y apprendrez combien, comme en France, elles furent sanglantes, la troupe, défendant les intérêts des patrons d’usine. La grève du François, l’Affaire Aliker ou celle des Seize de Basse-Pointe sont restées dans toutes les mémoires.
Tout au long des années d’après –guerre, les conflits sociaux violents ont émaillé l’Histoire de l’outremer.
Ceux qui ne tirent pas des leçons de l’Histoire sont appelés à la revivre dit le proverbe. Quand on fait grève pour vivre décemment et qu’il n’y a pas de réponse, le pire est toujours à venir.
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