Qui sont les békés ? Depuis la diffusion du documentaire de Canal plus,
les derniers maîtres de la Martinique et la médiatisation, tardive, mais salutaire du mouvement social qui secoue les DOM-TOM, ils sont sortis de la confidentialité dans laquelle ils étaient confinés - celles des connaisseurs de l'outremer, des décideurs des ministères et des compagnons de route historiques de l'ex RPR. Ils symbolisent l'ancien régime esclavagiste et colonial et dans la mesure où beaucoup d'entre eux perpétuent, comme un héritage plus ou moins fièrement assumé la lignée des maîtres. Hier des nègres, aujourd'hui de l'économie dans les îles.
On a beaucoup écrit et analysé la condition du colonisé. Damné de la terre, nouveau prolétaire en lutte pour son émancipation, le colonisé fut le héros de l'après guerre quand, entre les années 60 et 80, les combats de libération nationale, adossé à des formes plus ou moins librement adaptées du socialisme marxiste ou non. Mais les colons, les représentants locaux de la puissance coloniale, sont une catégorie tout à fait intéressante. d'abord, il ne faut pas généraliser. Si on prend le cas des Pieds-noirs, il n'y a rien d'autre que la couleur de peau qui soit commun au petit commerçant désargenté venu d'Espagne ou d'Italie qui tenta de joindre les deux bouts dans un quartier populaire d'Oran et les propriétaires ont les fonctionnaires qui s'organisèrent politiquement pour la défense de leurs privilèges, contres les Arabes. Les colons français d'Algérie sont les premiers à avoir imaginé, des candidatures "antijuives" aux élections comme ont disait à l'époque, c'est-à-dire à la fin du XIXe siècle.
On connaît la suite, ce soit ces colons d'Algérie, les pieds-noirs qui se sont opposés aux réformes du Front populaire qui, si elles avaient abouti, auraient peut-être permis d'éviter le pire. A l'autre bout du même continent, la colonisation européenne de l'Afrique du sud et des actuels Zimbabwe et Zambie (ex Rhodésie) ou encore Namibie par les Allemands, les Hollandais et les Britanniques a produit un exemple d'exploitation des terres et des hommes qui a allié la privatisation de la terre pour des fortunes comme celles de Cecil Rhodes ou d'une caste d'immigrants qui parfois fuyant les persécutions religieuses en Europe se mit elle-même à persécuters les noirs qu'elle appelait "Cafres" ou "Kafirs". Les Boers puis les Afrikaners devinrent les nouveaux maîtres de ces pays plein de richesses. On connaît la suite. L'Afrique du sud devint un véritable pays occidental au prix d'une politique affreuse, l'apartheid, un système de ségrégation à tous les échelons de la société.
La mentalité du colon est donc une mentalité de conquérant d'un espace à civiliser, à exploiter pour le compte d'une puissance ou d'un groupe d'individus.
Les Békés n'échappent pas à cette règle. Ils en sont l'expression la plus ancienne en vérité puisque depuis les origines, ils ont su défendre leurs intérêts. D'abord en affirmant leur autorité face à l'Etat. Historiquement, les colonies n'ont pas toujours été des possessions de nations à l'origine. Elles appartiennent à des compagnies et peu à peu, la souveraineté d'une couronne s'y affirme. Les colonies n'existent que pour l'exploitation des sols ou le peuplement et par conséquent les populations indigènes furent réduites en esclavage ou décimées par les maladies ou les massacres. Pour renouveler la main d'œuvre, on fit appel aux Africains qui furent déportés en masse. Leur servitude fit la fortune de familles entières, spécialisées dans le café, le sucre, le rhum, le coton, l'indigo etc...
La révolte du Gaoulé en 1717 fut l'exemple de l'affirmation de la primauté des intérêts des planteurs sur tout le reste, y compris l'autorité française. Lors de ces événements, ils séquestrèrent le gouverneur de la Varenne avant de le renvoyer dans un bateau vers la France !
L'ordre établi est garanti par le Code noir en 1685, l'année même de la révocation de l'Edit de Nantes et la Révolution de 1789 ne change pas grand chose car les colons, en Martinique préfèrent passer sous domination anglaise plutôt que de perdre leurs privilèges, c'est l'accord de Whitehall, signé en 1793 par Jean-Baptiste Dubuc. L'abolition de 1794 est un argument supplémentaire pour l'insurrection qui avait déjà éclaté à Saint-Domingue et bientôt en Guadeloupe. Il est clair que la République n'a pas fait respecter l'abolition dans les îles. Ses moyens étaient réduits. Les colons ont profité de la distance pour entre en dissidence et cette attitude d'impunité à l'égard des lois restera une constante. Victor Hugues, en Guadeloupe fit massacrer les contre-révolutionnaires, parmi lesquels de nombreux planteurs. Ce qui explique partiellement que la réalité des Békés est plus forte en Martinique qu'en Guadeloupe.
Lorsque la seconde abolition, celle de 1848 intervint, elle ne s'accompagna pas d'une réforme agraire qui aurait pu garantir une redistribution des terres. De fait les planteurs passèrent du statut de maître à celui de patron, jouissant de leur influence sur une administration plus coloniale que républicaine. Un gouverneur ou un préfet envoyé dans les îles, ainsi qu'un instituteur muté sous les tropiques, ce n'était pas une promotion fortement recherchée.
Des plantations aux usines, la caste blanche s'est clairement comportée comme les propriétaires des mines ou fabriques d'Europe, exploitant un prolétariat maintenu dans la misère et dont les éléments agitateurs - syndicalistes ou journalistes - pouvaient à tout moment être victimes d'une répression sauvage. C'est pourquoi, le mouvement ouvrier aux Antilles a une histoire sanglante. L'actuel mouvement en Guadeloupe rappelle aux plus anciens les événements de mai 67.
Le "mai 67" guadeloupéenAprès le passage du cyclone Inès, qui a dévasté l’île en septembre 1966, la situation sanitaire et sociale attend un niveau de graivté sans précédent. Le 26 mai 1967, des ouvriers du bâtiment, en grève depuis le début du mois se rassemble pour revendiquer une augmentation des salaires de 2%. On prête au représentant du patronat, M. Brizzard, cette déclaration : “Quand les nègres auront faim, ils reprendront le travail !”. La rumeur se répand dans la vie. La tension monte, les forces de l’ordre chargent. Pointe-à-Pitre s’embrase peu à peu. Sans sommations, les CRS tirent sur la foule. Pendant trois jours, la ville est à feu et à sang.
Peu à peu, le calme revient. Les CRS ont utilisé des balles qui explosent une fois qu’elles ont pénétré dans les corps. Selon les rapports officiels, on compte huit morts. Vingt ans plus tard, le bilan réel est révélé, au moins 87 morts.
Les Békés possèdent la majorité des terres et l'essentiel des enseignes de la grande distribution. Il n'est pas faux de dire qu'ils "tiennent" l'économie. 1 % de la population possédant 40 % du foncier c'est loin de l'égalité républicaine. Encore une fois, ils ont longtemps créé les conditions pour que l'Etat regarde ailleurs. La récente affaire du chlordécone que les planteurs ont importé en toute illégalité un pesticide interdit, polluant durablement le nord de la Martinique est une illustration supplémentaire.
La question n'est pas que d'ordre social, c'est-à-dire, le maintien de privilèges aux mains d'une minorité d'accapareurs, elle est politique puisque ces personnes, souvent très liées à la droite française ont leurs entrées dans les hautes sphères de l'Etat. Elle est économique car, la politique des prix permet des profits immenses, pour une fiscalité très avantageuse puisque les aides sont détournées - ce qui conduit à avoir, pour les mêmes enseignes qu'en métropoles, des prix multipliés par 3 voire, par 5. Il n'est pas rare de voir des familles antillaises partir "au pays" en vacances, en emportant leur bouffe ! Cette question est aussi raciale car, les békés maintiennent depuis toujours la "pureté de la race", ne se mariant qu'entre eux, ce qui a conduit à des unions consanguines. Tout béké qui a un enfant avec un nègre ou un mulâtre (produit d'une union entre un blanc et un noir), est exclu du clan. Il devient un "béké en bas feuille". Des békés peuvent travailler avec des noirs, mais ils ne se mélangent pas au point de partager des choses en dehors du bureau par exemple. Philippe Lavil, le chanteur bien connu a toujours défendu ces positions alors qu'il a fait carrière sur la mise en valeur de la musique antillaise...
Mais tous les békés ne sont pas les odieux racistes comme le Hayot ou de Huygues-Despointes, nationalement connus désormais, depuis la diffusion du documentaire de Canal plus. Il existe aussi des békés désargentés, qu'on appelle les "békés goyave". Tous n'adhèrent pas à cette idéologie qui conduit certains à relativiser la gravité de l'esclavage. Et certains, comme
Roger de Jaham, tentent d'ouvrir un chemin vers une modernité à laquelle beaucoup de leurs semblables tournent encore le dos.
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