Une discussion récente sur "ces socialistes qui se moquent de la classe moyenne" et un statut sur Facebook faisant référence aux "femmes qui fondent comme de la rillette sur un radiateur" et voilà la réflexion qui s'engage sur les "beaufs". Le "beauf", abbréviation de "beau frère" celui qu'on n'aurait pas choisi et dont le mode de vie jure avec le sien. Le beau frère qu'on doit supporter et qui serait ce français moyen aux codes et aux références populaires, médiocres, grossières, peu éduquées etc... Un miroir dans lequel nous ne nous reconnaissons pas ou plus parce que nous aurions évolué dans l'échelle de l'évolution socio-culturelle d'une société de consommation dans laquelle il y a ceux qui consomment et ceux qui consomment de façons critique.
Depuis longtemps, le Français moyen est un sujet de rire garanti. Depuis Fernand Raynaud qui campait savoureusement divers visages de la société dans laquelle tous se reconnaissaient jusqu'à Coluche, Bedos ou Desproges qui portaient déjà un regard plus cynique et résolument politique. Jusqu'aux Deschiens qui ont érigé un mode de vie qui est celui de millions de nos concitoyens en sujet à rire... Yolande Moreau ou François Morel semblant incarner sans même avoir à jouer, de tes rôles.
A l'âge de la télévision de masse, il y a maintenant le beauf dont on se moque à la mode Bigard dont la vulgarité agace tout le monde, et le beauf qui s'assume comme tel, ainsi Dubosc ou le génial personnage de Jean-Claude Convenant de Caméra Café.
Il est vrai que le rire vient à la fois du grotesque et du vécu. Un vécu que l'on revit en allant "en province" chez les beaux parents ou des amis "qui ont un autre mode de vie".
Il paraît qu'on peut rire de tout. On ne va pas faire les rabats-joie non plus. Mais à l'évidence, si un Dubosc ou un Bigard peuvent avoir du succès aux quatre coins de notre beau pays, ce beau pays est centralisé. Tout part ou tout arrive à Paris et quand on milite à Paris, le regard sur "la province" et "la banlieue" n'est pas anodin car la définition même du "beauf" suggère un jugement puisqu'elle est subjective. On peut parler de classes populaires ou de milieu modeste, c'est, paraît-il, la base électorale des partis de gauche. Mais les spécimens dont on rit en regardant Hervé Dumont et son compère Jean-Claude Convenant, sont légions, et la gauche revendique leurs suffrages car elle prétend leur changer la vie. Combien de fois, des socialistes parisiens ne se sont pas piégés par excès de sincérité en prononçant quelques mots de trop sur des gens avec lesquels ils se targuent de ne rien avoir en commun alors qu'ils voudraient bien qu'ils votent pour eux...
Dans les années soixante-dix, la très "ouvrière" Ligue communiste révolutionnaire avait estimé que le Parti socialiste était un parti "ouvrier-bourgeois". Ouvrier au regard de sa base et de son histoire, et bourgeois au regard de la nature de sa direction. Se tendait-elle un miroir sans l'assumer ? Peut-être, mais il est juste de dire que le Parti socialiste demeure "bourgeois" dans ce qu'il a d'élitiste et de "bien pensant". Le Parti socialiste, dans la manière qu'il a de sélectionner ses élites fait jouer le poids du CV selon les codes de la méritocratie administrative, entrepreneuriale (et encore) et étatiste. Il est loin le temps de l'ouvrier Albert...
Il semble que c'était un exploit d'employer les mots "ouvrier" ou "travailleur" dans la prose électorale de ce parti. On moque les envolées d'un Gérard Filoche à la tribune d'un congrès. Jean-Luc Mélenchon ne semblait plus parler la même langue qu'une bonne partie de son parti... De là à se doter d'une direction politique composée de ... "beaufs" ! Cela aurait de la gueule d'ailleurs. Une direction au franc parler, qui vivrait au quotidien l'ordinaire du peuple. C'est en réalité le cas depuis longtemps. Il existe dans la direction du PS ce qu'on appelle "le quota des premiers fédéraux", c'est-à-dire des responsables départementaux du PS qui de part cette fonction sont membres de la direction nationale du Parti socialiste. Ils sont souvent en guerre contre "le parisianisme". Les Parisiens d'adoption eux-mêmes, quand ils n'oublient pas d'où ils viennent, connaissent et détestent "la bourgeoisie de province" cruellement croquée par les Chabrol ou Coline Serrault, la fameuse scène du député socialiste dans La Crise...
Chez nous aux Antilles, on ne parle pas de "beaufs". Ca n'existe pas vraiment. On brocarde plutôt les gens modestes ou rustres, on les traite de "grosso-modo", "vié nèg'", "soubarou"... On se moque du grotesque, mais comme on dit aussitôt "c'est nous même". On assume quoi !
Le rire dont les beaufs font les frais est donc aussi bien de bon coeur que cruel et parfois chargé de sens. Le socialisme sans le social, ou le socialisme sans le peuple, voilà la gageure pour certains "parisiens". Le rituel de la Rochelle, sélectif par son prix en est un symbole. Pas un hasard non plus si la fédération de Paris n'organise jamais de fête de la rose...
Dominique Strauss-Kahn avait organisé par un temps de froidure comparable à celui que nous vivons depuis quelques jours, à Sarcelles, le 7 décembre 2003 une journée d'études sur la reconquête des quartiers populaires. Les strauss-kahniens ne passaient pas, ne passent toujours pas pour les plus "popus" à gauche. Quand bien même leurs principaux dirigeants sont élus de vrais quartiers ouvriers ou populaires - Montbéliard, Sochaux, l'est parisien, Sarcelles, la banlieue lyonnaise, le Pas de Calais ou les quartiers nord de Clermont-Ferrand pour ne citer que quelques exemples, le style - on s'arrêtait volontiers à celui de la "garde rapprochée" et celui des "plumes et petites mains", semblait par trop germanopratin. Bien sûr on se trompait, mais l'image était tellement facile... Le mécanisme fonctionne. La gauche, ça ne va pas avec l'argent et tant pis si la plupart des dirigeants historiques étaient issus de la bourgeoisie. Bref, cette journée d'études, à l'IUT et à la salle André Malraux, permettait de se rappeler qu'aujourd'hui, le "fait ouvrier" avait pris un autre visage sans nécessairement changer entièrement de nature. Les quartiers populaires - c'est-à-dire les banlieues pauvres, les zones de relégation, les anciennes cités dortoirs, mais aussi les endroits laissés à l'abandon, étaient les nouvelles usines où il fallait s'établir. Non pour retrouver une virginité politique, mais parce que là vivent une majorité de Français qui sont de plus en plus touchés par une paupérisation qui gagne ce qu'on appelle "la classe moyenne".
Le beauf dont nous rions, c'est donc un autre "nous", celui auquel nous pensons avoir échappé, celui que nous devons défendre, celui que nous ne voulons pas devenir puisque dans la société de consommation, seuls les communistes "sacralisent" l'ouvrier alors que la plupart des gens envient et singent le bourgeois, cet autre moteur de l'Histoire puisque chaque fois que ses intérêts ont été en jeu, il a su menacer l'Etat. Les phénomène récents qu'on rassemble sous le nom de "pipolisation" et "bling bling" illustrent bien cette nouvelle utopie : consommer, faire comme si l'argent coulait à flot, quitte à vivre par procuration au rythme de la jet set en regardant, la bave aux lèvres, les magazines à sensation. D'ailleurs on ne sait plus où classer cette "actu". La presse elle-même ne sait où donner de la tête...
Alors peut-être faut-il se moquer avant tout de soi-même...
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