À l’évidence, les Français se passionnent pour les primaires américaines. Chez les socialistes, on s’empaille gentillement entre partisans de l’un et de l’autre en jouant les figures classiques du « plus à gauche », de la plus expérimentée, des marqueurs identitaires que l’on devine déterminants. On frétille de voir, bien au chaud dans notre « République une et indivisible » qui se méfie des communautarismes et autres statistiques ethniques, une femme et un métis, candidats de tout sauf de témoignage représenter une alternative sérieuse à la droite américaine. On est content pour ces Américains qui réussissent là où nous pédalons encore. Nous nous désolons de la réalité des discriminations ; nous sommes contre la discrimination positive, mais pour la parité… Bref, nous voudrions bien avoir les mêmes chez nous, mais on n’en a pas encore trouvé le chemin. Au passage, il est toujours amusant de voir comment les dirigeants de droite n’assument jamais qu’ils sont de droite car lorsqu’ils émettent un avis sur des dirigeants qui ne sont pas français, ce sont souvent les hommes et les femmes de gauche en Europe ou en Amérique du nord qui ont leurs faveurs.
Bref, dans le pays merveilleux de la politique fiction, parmi les désirs d’avenir que nourrissent les observateurs à l’égard des candidats démocrates actuellement en lice dans la primaire américaine, il y a cette question de la possibilité d’un « ticket Obama-Clinton » ou « Clinton-Obama ». Elle répond à cette idée simple, pour ne pas dire simpliste : puisqu’ils sont bons tous les deux, marrions-les. Que l’un soit le second de l’autre. L’un dans l’autre, on perpétuera l’effet dream team.
Mais comme aurait dit Hubert Védrine à propos des constructions de ce genre, faites dans des endroits où l’influence sur les faits dont on parle est assez limitée, « il ne faut pas pendre ses rêves pour la réalité ». Une fois encore, en politique, les choses ne sont jamais roses, les situations jamais binaires.
D’un point de vue politique et historique, l’idée du ticket ne va pas forcément de soi.
Bien sûr, les électeurs ont leur opinion. Dans le Time magazine de la semaine du 18 février, si on constate qu’une majorité des électeurs des deux camps sont favorables à l’idée d’un ticket, du côté Obama, la majorité en faveur d’un ticket Obama-Clinton est assez faible. Un peu plus de 55 % des partisans d’Hillary Clinton estime qu’un ticket serait un atout contre 38 % chez ceux d’Obama.
Quand on sait en plus que, selon les sondages, ce sont les femmes, les hispaniques et les ouvriers qui votent pour Hillary Clinton alors qu’Obama recueille les suffrages des hommes, des noirs et des couches éduquées, comment ne pas en effet, rêver à une « alliance de classe » ?
Comment ne pas désirer l’alliance du visionnaire et de la technicienne, l’alliage du charisme et de l’expérience ? Un casting digne de ces buddy movies hollywoodiens qui explosent le box-office. Mais en politique, on est parfois loin de l’Arme fatale.
D’abord, au moment où nous sommes, il est beaucoup trop tôt pour y penser, même en se rasant ou en s’épilant. La considérer maintenant est un non sens politique et une erreur stratégique car, comme lors d’une certaine primaire socialiste, ou les partisans de la candidate favorite des sondages disaient, non sans condescendance que tel concurrent ferait un « excellent premier ministre ». Ici aussi l’intention est de gagner, pas de témoigner ou de jouer un coup pour après. Si l’idée s’installait, l’électorat se démobiliserait. Tirer des plans sur une comète dont la trajectoire n’a ni queue ni tête est une expérimentation hasardeuse. On verra plus tard.
La fonction de vice-président, qui existe depuis le début aux Etat-Unis, confère au numéro deux de l’exécutif, un rôle très limité, peu politique. Ce n’est que depuis John Kennedy que la fonction a pris du relief, même si Lyndon Johnson n’a pas fait pour son second ce que JFK avait fait pour lui. Ensuite, il y a eu plutôt des gens qui ont défrayé la chronique avant que sous Carter et Bush père, le vice-président redevienne un décideur. Enfin, sous Clinton et Bush fils, le vice-président a un peu plus de poids. Mais, à l’évidence, c’est une question de volonté du président et d’opportunité.
On peut raisonnablement se demander si, par ailleurs, un ticket Clinton-Obama, ne tiendrait pas, en réalité, du « ménage à trois » car nul doute que Bill ne partirait pas faire pousser des fraises dans l’Arkansas pendant que son épouse officierait aux quatre coins du monde ou du pays entre deux conseils à la Maison Blanche ! Quelle place alors pour un numéro deux institutionnel quand il existe un visiteur du soir, un conseiller occulte dont l’influence, les réseaux et le statut ne sont prévus ni régulés par rien ? C’est, sans présager de rien, une vraie question démocratique. Et quand on sait qu’aux Etats-Unis, les Clinton sont perçus comme un clan… Malheur à quiconque n’en est pas. Or Obama a commis une faute originelle, il a contesté à Hillary la position de « candidate naturelle » du Parti démocrate. Le Super Tuesday, sensé départager les candidats par une décantation accélérée n’a fait que confirmer qu’il fallait attendre juin pour savoir la fin du film.
C’est un mariage de raison et une tâche ingrate… Historiquement, le vainqueur a souvent tendu la main au vaincu, mais il faudra surmonter les tempéraments, renier les oppositions politiques qui se sont exprimées durant les primaires et surtout accepter un rôle, celui de vice-président dont les contours sont fluctuants.
Si Obama perd, ce sera une défaite prometteuse car il aura un rôle politique à jouer ailleurs que sous la férule de la candidate investie par le Parti démocrate. Mais rien n’étant figé dans le marbre, gageons que l’été sera studieux pour parvenir fin août à une répartition des rôles qui prendra en compte le poids et les exigences de chacun qui sera annoncée lors de la convention du Parti démocrate à Denver… De la à penser que se jouera là en même temps l’avenir d’une dynastie…
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