Si un jour on doit écrire l'Histoire des mouvements politiques, des organisations syndicales de travailleurs ou d'étudiants, des filières militantes et des héritages culturels, l'Histoire des passions des gauches françaises, il faudra faire une place importante à Pierre Lambert, qui vient de mourir.
Même quand on est socialiste, voir social-démocrate, quand on ne partage pas les mêmes vues que l'extrême gauche, quand on croit que le réformisme est plus adapté au combat politique de la gauche que la révolution, il faut reconnaître que Pierre Lambert a représenté quelque chose d'important pour plusieurs générations de militants qui, qu'ils aient ou non rompu avec lui, se retrouvent dans tellement d'endroits que décidément, on se dit qu'à tort ou a raison, ce Montreuillois savait y faire avec les talents humains. D'ailleurs, il n'a pas attendu de mourir pour entrer dans la légende.
Pierre Boussel est né en 1920 à Montreuil selon les biographies officielles. Il appartient à cette génération d'enfants d'immigrés juifs venus d'Europe de l'Est. Il a milité aux jeunesses communistes, puis dans les rangs de la fraction trotskisante de la SFIO avant de rejoindre les rangs clairsemés des trotskistes français. Le trotskisme ? Une autre manière d'être communiste quand on rejette le stalinisme. Une aventure intellectuelle assez particulière dans l'histoire de la gauche française.
Lambert - le pseudonyme qu'il choisit - côtoie les compagnons de route de Trotski qui fonde la IVe Internationale en 1938 en réunissant quelques dizaines de personnes dans une grange de la banlieue parisienne. Ce sont Molinier, Lequenne, Bleibtreu, et beaucoup plus tard Stéphane Just.
Lambert travaille à la Sécurité sociale. Il adhère à la CGT avant d'en être exclu puisqu'il est trotskiste. En 1952, c'est la grande scission légendaire chez les trotskistes du monde entier. Alors qu'on est en pleine guerre froide, faut-il soutenir malgré tout l'Union soviétique, "état ouvrier dégénéré" ou estimer que c'est une détestable bureaucratie ? Que faire ? En cas de troisième guerre mondiale ? La majorité du mouvement tranche en faveur du soutien à l'URSS. Lambert, lui, est contre. L'antistalinisme sera la marque de fabrique du lambertisme.
Lambert devient donc le dirigeant d'une fraction minoritaire, farouchement antistalinienne et tout aussi dure à l'égard des autres chapelles se réclamant du trotskisme. En 1965, il refonde son mouvement en Organisation communiste internationaliste, la fameuse OCI. Le mouvement lambertiste croit dans le syndicalisme et il investit beaucoup dans Force ouvrière, mais il se tient à l'écart de Mai 68. Pour autant, la branche étudiante, organisée dans l'Alliance des jeunes pour le socialisme (AJS) va être, dans la gauche estudiante, un mouvement influent dans les années 70 au point d'être à l'origine de la réunification du syndicalisme étudiant en 1980. Mais le lambertisme au fur et à mesure qu'il vieillit, s'éloigne de son temps. S'il fut, comme d'autres mouvements trotskystes une excellente école de formation, on ne peut pas en dire autant de l'épanouissement démocratique qu'il a pu procurer. Pour autant, "Pépé mégot" fut un homme de réseaux, et la liste des gens qui ont fait leur classes avec lui est impressionnante. Journalistes, dirigeants politiques, syndicalistes, responsables associatifs, chefs d'entreprises...
Les lambertistes étaient tout à la fois redoutés, imités, détestés, et respectés.
L'homme, mort à 87 ans, avait fait du 87, Faubourg Saint-Denis dans le 10e à Paris le siège de son organisation.
Comme le PCF, le lambertisme est devenu sans objet quand il a commencé à s'épurer lui-même. Il a du trouver finalement les raisons de sa propre histoire dès lors que le stalinisme avait fini dans les poubelles de l'Histoire. Au final, il reste un héritage historique et culturel, mais l'aventure politique est terminée depuis longtemps.
Lambert, parmi d'autres, et d'une certaine manière, car il est juste de prendre l'héritage d'un homme dans sa totalité et d'en faire l'inventaire, a montré les limites du rigorisme en politique. Une fois qu'on s'est libéré de la fascination ou de la répulsion, et quoiqu'on en pense, et même quand on n'a rien à voir avec lui, comme d'autres, il a sa place dans l'Histoire des mouvements de gauche.
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