« Un peu d’internationalisme éloigne de la nation, beaucoup d’internationalisme ramène à la nation. » Jean Jaurès
Parmi les thèmes majeurs retenus par la direction du Parti socialiste dans le cadre du débat sur la rénovation, il y a celui du rapport des socialistes à la Nation. Un sujet qui a retrouvé une importance dans la dernière période avec la manière dont Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy se sont approprié ce thème, dans une perspective que les socialistes combattaient ou qu’ils avaient perdu de vue depuis longtemps.
Est-il utile de se poser la question aujourd’hui ? Oui car la Nation est à l’origine en France, une « invention » de la gauche dont le premier combat, avant celui pour le socialisme, fut le combat pour la République.
La question nationale, si on la croit importante, doit être traitée avec sérieux, d’un point de vue de gauche. Si on pense qu’à l’époque de la mondialisation et de la construction européenne elle n’est plus aussi pertinente, il faut avoir le courage de le dire. Il ne faut simplement pas, s’en saisir uniquement pour ne pas être en reste face à la droite. La gauche a toujours ou longtemps eu un discours sur la Nation, une relation étroite entre la Nation et l’Etat. Elle peut évoluer et déclarer ce cadre obsolète, mais il faut argumenter.
Il ne faut pas avoir peur de cliver fortement, dès la définition, avec la droite sur ce sujet car d’un point de vue historique, la divergence avec la droite relève de quelque chose de plus tranché qu’une simple nuance.
Il s’agit donc d’une réappropriation par la gauche d’un thème qui fut fondateur pour elle comme pour le pays. Il s’agit aussi d’une conception de l’organisation politique et sociale d’une communauté de personnes dans un territoire sans
La Nation devient en 1789 l’expression politique du peuple français, c’est-à-dire qu’il est dépositaire d’une souveraineté qui jusqu’alors s’incarnait dans la personne du roi. C’est d’emblée une communauté de projet reliant des personnes qui partagent des principes universels. C’est pourquoi la Révolution française fit de personnes comme Thomas Paine, un des théoriciens de la Révolution américaine ou Tadeusz Kościuszko, le héros de l’indépendance polonaise, des citoyens d’honneur de la République française.
Le nationalisme républicain de 1789 veut exporter les idéaux français par-delà les frontières. Cela d’ailleurs passe bien dans les milieux allemands, belges ou italiens qui sont sous domination étrangère.
Le combat pour la République a donc été le premier combat de la gauche avant qu’elle ne se « convertisse » au socialisme. Jaurès en a été un bon représentant à l’époque où, après la guerre de 1870 où la Commune avait constitué une sorte de moment de résistance nationale et de projet de société révolutionnaire.
Par la suite, la droite française voit dans la Nation le moyen de restaurer une France humiliée par la défaite, qu’ils perçoivent comme perdue parce qu’aucune figure ne se dégage – on se souvient du moment qu’a représenté le boulangisme.
La gauche est alors dans le socialisme révolutionnaire et l’affirmation de la République laïque. C’est la question sociale qui prime et elle se résoud à l’échelle de la planète puisque « les travailleurs n’ont pas de patrie ».
Dès lors, face au socialisme révolutionnaire et internationaliste d’un côté et au radicalisme républicain qui défend les institutions, le nationalisme devient l’idéologie de la réaction et des conservateurs. Un nationalisme qui va intégrer une définition « biologique » de la Nation et déboucher sur deux guerres mondiales, devenant pour longtemps, dans cette partie du monde, une idéologie de droite et d’extrême droite.
Pourtant, après la deuxième guerre mondiale, le nationalisme qui est en Europe une idéologie de la conservation et du repli, devient dans les pays colonisés, une idéologie de la libération et de l’émancipation, majoritairement adossé au socialisme. Le nationalisme qui combat le colonialisme n’est pas ethnique à ce moment. Dans les colonies dessinées par les Européens, le sentiment national apparaît, par une identification au territoire et à un projet commun.
Pour la gauche française qui croit la révolution imminente, c’est le monde qu’il faut appréhender, même si, la social-démocratie a, depuis le début du siècle, choisi d’agir dans le cadre national. On est alors à l’âge d’or de l’Etat providence et c’est bien dans ce cadre que les politiques d’intervention de la puissance publique peuvent se réaliser. Les débats qui agitent la Deuxième internationale à partir de 1914 portent sur le rapport à la Nation dans une actualité tragique puisque le contexte est celui de la guerre. Si la social-démocratie française ou allemande rejoint les Unions sacrées, les communistes qui avaient scissionné au nom du pacifisme, ils sont eux-mêmes conscient que le rôle dévolu aux communistes n’est pas d’ignorer la nation dans le but de la préparation de la révolution mondiale, mais d’agir dans le cadre national, mieux, dans l’intérêt national. C’est ce que disent d’ailleurs Zinoviev et Radek en juin 1923 : « notre parti peut dire à bon droit que, bien que nous ne reconnaissions pas la patrie bourgeoise, c'est nous qui défendons, en Allemagne, l'avenir du pays, et de la nation ». « Poser la question nationale, c'est-à-dire faire comprendre au prolétariat qu'il doit être le Parti de la Nation ».
Les socialistes français se pensent toujours comme les défenseurs de la République, non pas contre les gauchistes comme ceux qui à droite ont créé en 1968 ou en 1981 des « comités de défense ou d’action républicaine », mais contre le retour de la réaction et pour la défense de la laïcité.
Le Parti communiste lui-même entame très tôt une conversion au nationalisme qu’il nomme patriotisme en apparaissant comme une formation autant institutionnelle dans les faits qu’elle est révolutionnaire dans les intentions. On se souvient des déclarations du couple Thorez-Vermeersch par exemple.
Avec la montée du Front national, sur fond de vague identitaire sur une grande partie de l’Europe, la question de la nation disparaît sous le spectre du nationalisme ; « Le nationalisme c’est la guerre » dira François Mitterrand. Les socialistes se méfient alors de toute référence à la Nation. Le drapeau tricolore ou la Marseillaise ne sont alors revendiqués que par le PCF ou par les amis de Jean-Pierre Chevènement dont l’hostilité à la poursuite de la construction européenne s’explique aussi par un rapport à la nation qui s’affirme de plus en plus dans les années 80.
Mais bientôt, la mondialisation vient percuter de plein fouet ce qui restait de l’État-Providence, elle ébranle ce que l’on croyait être le cadre protecteur de l’Europe. Le métissage de la société sans récit national fondateur dans une France qui n’assume pas toute son histoire – notamment la Guerre d’Algérie – tout cela crée une quête identitaire à laquelle la droite, à la suite du Front national, s’adonne au point de définir un discours sur la Nation qui, en guise de réponse aux inquiétudes de la période, se révèle être, une fois encore un discours fermé.
Or, avec l’existence d’une société dans laquelle diverses cultures se mélangent, s’agit-il de résoudre la question nationale par rapport à un modèle discriminant qui réduirait la Nation à l’ensemble de « ceux qui se ressemblent parce qu’être français, ça saute aux yeux » sont français de nationalité, de culture ou de langue et préférentiellement judéo-chrétiens sur le plan de l’héritage religieux. Ou bien de réinventer un modèle historique d’intégration républicaine par-dessus les identités dont le mélange se réalise tôt ou tard, modèle qui redonnerait leur modernité aux notions de liberté ordonnée, de fraternité laïque et républicaine et d’égalité réelle ?
On le voit, la notion de Nation est indissociable pour la gauche de la notion de citoyenneté. Dans la Rome antique, la conception de la Nation n’existait pas. Seule celle de citoyenneté séparait ceux qui jouissaient de droits politiques des autres. Bien que l’Empire romain ne fut pas un modèle de liberté, sa tendance historique principale fut l’élargissement permanent du droit d’être citoyen.
La Nation ne peut être pour un socialiste que le point de départ ou un instant dans le cheminement des individus vers l’émancipation. De la même manière que les capitaux ignorent les frontières, le cadre national doit être dépassé quand il s’agit de la défense des droits et de la Liberté.
Une analyse historique tout simplement limpide...
Rédigé par : Thibault | 08 novembre 2007 à 15:05
le marché, l'individu, la nation : trois débats sur le socialisme mais quand parle-t-on d'international ?
Rédigé par : julien | 08 novembre 2007 à 15:40