Le 7e forum social mondial se tient à Nairobi du 21 au 25 janvier. C’est l’occasion de réfléchir pour savoir où va l’altermondialisme et de percevoir la pertinence d’un débouché social-démocrate pour construire une réponse de gauche à la mondialisation.
Cette gigantesque fête d’une l’humanité, solidaire, est un échantillon rassemblé d’abord à Porto Alegre, puis à Bamako, Mumbay, Caracas ou Karachi permet de prendre la mesure du mouvement social qu’il est possible de construire.
Il y aura toujours plus de monde dans n’importe quel Forum social qu’à Davos
Il faut faire de cette supériorité numérique une supériorité politique. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais le slogan des altermondialistes « un autre monde est possible » reflète toute la lucidité sur la difficulté de la tâche. Face aux 15 000 participants aux premières éditions, les 50 000 de cette semaine sont un vrai succès. En outre, sept personnes sur dix y viennent pour la première fois.
Ce ne sont donc pas que de doux rêveurs… d’ailleurs, l’altermondialisme se soumet de plein gré à l’autocritique. Dans l’aventurisme politique qui a tenté ceux qui, présumant de leur force ont prétendu mélanger les genres, la crise d’ATTAC sert de leçons. Le mouvement est très affaibli et cela se voit très bien ici à Nairobi.
Le tropicalisme des origines – berceau brésilien dans le laboratoire pétiste de la démocratie participative a été confronté à l’épreuve des faits. L’extrême gauche a probablement contribué à la popularité des FSM, mais à mesure que l’affluence augmentait, son audience diminuait. Construit à l’écart des formations politiques, celles qui ont tenté de le noyauté ont été marginalisées et celles qui ont proposé des débouchés sont aujourd’hui respectées. Le Parti des travailleurs, parvenu au pouvoir quelques mois après le premier forum a montré que l’articulation entre le mouvement social et les institutions politiques pouvait ouvrir quelques voies. A l’autre bout, si on regarde les choses simplement d’un point de vue français, une victoire de la gauche quelques moins également après ce forum social serait porteuse de beaucoup de promesses. Il n’y a pas que pour les socialistes et les citoyens français seulement qu’une victoire de Ségolène est une occasion royale. La voix de la France porterait encore plus l’idéal d’une mondialisation solidaire vers le réel et les gens le disent : sans donner le moindre chèque en blanc au Parti socialiste, ils le perçoivent en situation d’avancer dans la bonne direction. Il faut mesurer, par-delà l’impressionnisme du moment l’existence de ce lien. Dans les échanges, on a pu le noter, de la CGT à la FSU ou de la part de militants africains.
Comme le note le responsable d’une ONG française, on est passé du « contre » au « pour » c’est-à-dire que pour la première fois, un forum social se propose de dépasser les dénonciations du libéralisme pour commencer à proposer des choses.
Une fois encore, tout part de l’Afrique
C’est la première fois qu’un forum social mondial se tient intégralement en Afrique et les événements de Guinée ajoutent à des signes qui ne trompent pas. Le gouvernement et la presse kenyans ont pour ainsi dire très peu communiqué sur l’événement. C’est un prétexte pour que les journaux parlent du Kenya en réduisant au passage ce pays à la pauvreté. Et pourtant, une autre réalité est possible, celle d’une Afrique prête à entrer dans le XXIe siècle. Pour les acteurs du FSM et les socialistes, il y a un lien évident entre le colonialisme institutionnel du passé et un néo-colonialisme économique d’aujourd’hui c’est-à-dire que l’indépendance politique de l’Afrique est atrophiée par une hyperdépendance économique. Comme le disait un dirigeant africain : « je ne suis pas contre le fait que la France cherche à profiter de nos ressources pour la poursuite de son propre développement, mais ne venez pas nous dire que c’est pour notre bien ! ». De même, un syndicaliste tchadien appelle le prochain gouvernement de gauche à être l’amis des peuples africains plutôt que l’ami des dictateurs… Les différents accords de l’OMC exigent que les marchés africains s’ouvrent aux pays du nord selon des règles qui réduisent les bénéfices pour les producteurs et qui détruisent les protections douanières qui sont les principales sources d’entrée d’argent dans les caisses des états. L’évolution de ces dernières années a fait de l’Europe la cible de toutes les critiques. Bientôt l’adoption des aides au partenariat économique (APE) va achever de « graver dans le marbre » ce qui est perçu comme une mise en coupe réglée du continent africain car l’autre élément dont on parle encore trop peu, c’est l’arrivée de la Chine et ses investissements massifs dans les économies nationales sans aucune contrepartie.
Se pose donc la France en particulier la question des bases pour un nouveau lien avec l’Afrique. Pour cela, il faut mettre sur le même plan la question démocratique et la question du développement qui intègre au passage la question des migrations. La France doit chercher de nouveau partenaires pour nouer des alliances qui permettent d’avancer là-dessus car il s’agit de faire pression sur ceux de nos alliés traditionnels pour qui la démocratie se pratique en tenant les syndicalistes et les partis politiques en joue… Une des pistes pourrait être le renforcement des liens avec l’Afrique du sud dont d’ailleurs la puissance ANC est membre de l’Internationale socialiste…
Un chantier majeur pour le mouvement social-démocrate
La social-démocratie a sa place dans l’altermondialisme. D’ailleurs, signe des temps, Guy Ryder, le président de la toute jeune Confédération syndicale internationale a été invité à prendre la parole dès le meeting d’ouverture qui se tenait devant 10 000 personnes dans Uhuru Park à Nairobi.
Le Parti socialiste européen a fait venir des parlementaires belges, néerlandais, italiens, danois et espagnols. Le forum progressiste mondial, créé en 2003 par Poul Nyrup Rasmussen a rencontré un grand succès en lançant à l’occasion du forum, un nouveau volet de sa campagne pour le travail décent dont un des temps forts sera une campagne pour garantir une production équitable lors de la prochaine coupe du monde de football qui devrait se tenir en Afrique du sud. En effet, il s’agira d’organiser la vigilance autour des conditions de fabrication des produits dérivés, régulièrement délocalisés dans des pays dont la main d’œuvre n’a aucune rémunération juste, ni droits syndicaux ni conditions de travail dignes.
L’enjeu est clair. Dans un premier temps, l’alternative théorique au libéralisme n’est plus politique à pas mal de niveaux, mais théologique. Le poids des églises et des structures associatives ou syndicales d’obédience chrétiennes est grandissant. D’ailleurs, le sujet de la dignité féminine à l’épreuve de l’islam radical est tabou dans l’altermondialisme alors même que tout le monde parle d’égalité des droits et de lutte contre les violences. C’est la preuve que nous sommes en « basses eaux idéologiques » et il appartient au mouvement progressiste de recommencer à irriguer ce champ.
L’Europe concurrence désormais les Etats-Unis dans l’esprit des pays du sud au poste de puissance impérialiste. Or, au même moment, les socialistes se battent pour une Europe sociale qui soit un modèle alternatif. Visiblement ils ont donc échoué, au moins dans la représentation. Si la mondialisation est une donnée géopolitique et une réalité économique, elle doit devenir aussi une réalité sociale. D’ailleurs, ce mot d’ordre est présent depuis les origines du mouvement ouvrier comme chacun le sait et on le sait, la justice sociale et l’égalité réelle ne seront jamais complètement réalisée si on reste dans nos frontières. Il s’agit donc de domestiquer la mondialisation en cessant d’en faire une formule protocolaire de nos discours.
L’achèvement des buts des socialistes pour une société plus juste passe par une résonance avec l’altermondialisme, mais ils doivent lui offrir un débouché. Faut-il être « proche » ou « dedans », c’est une question stratégique majeure, mais quelque soit la réponse, les socialistes doivent continuer d’en être. Comme des poissons dans l’eau…
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