L'année du centenaire de l’unité de socialistes a permis de réparer une étrange injustice. Sortir Jean Poperen de l’oubli. Présent dans les mémoires des plus anciens d’entre nous, il était étrangement boudé par les biographes qui préfèrent tirer le portrait de telle célébrité socialiste dès qu’elle fait l’actualité ou qu’elle est “préférée des Français”…
Mon ami Emmanuel Maurel, compagnon des dernières années, vient ainsi de publier la première biographie de Jean Poperen (1925-1997) dans l’Encyclopédie du socialisme.
Poperen c’est d’abord un demi-siècle de militantisme dans toutes les familles de la gauche. Un militant et un intellectuel comme il n’y en a plus. Résistant à 18 ans, jeune cadre communiste, il prend néanmoins la mesure de l’imposture stalinienne avant de se faire exclure du PC en 1959. Il milite déjà pour sa grande idée, un grand parti de toute la gauche, à l’heure où c’est la petite gauche qui existe avec ses clubs et ses groupuscules. Il participe à l’aventure du PSU où il occupe un espace entre les gauchistes et les “modernistes” autour de Michel Rocard qu’il accuse alors de “social-technocratie”. Michel Rocard avec qui il partagea avec lucidité la prudence à l’égard des postures radicales dans lesquelles se complait toujours une certaine “aile gauche” du PS, successivement le CERES, puis la gauche socialiste… Leur divergence était intellectuelle et stratégique. Comme le note Emmanuel, « Poperen a toujours estimé Rocard qui contrairement à d’autres futures stars du PS a des convictions fortes, fondées sur une analyse originale de la société. »
La pensée de Poperen se fonde toujours sur une vision unitaire de la gauche articulée autour du front de classe. Dans les années 80, il prend en compte l’évolution nécessaire à accomplir dans le PS à l’épreuve du pouvoir. Il faut choisir « entre l’étatisme et le marché la voie du compromis économique et social ». Il crie alors dans le désert, mais selon Alain Bergounioux « ces propositions présentaient l’avantage d’offrir une interprétation du nouveau cours de la politique socialiste tout en demeurant dans le fil d’une tradition historique et [...] d’offrir un objectif mobilisateur comme avait pu l’être le triptyque “nationalisation-planification-autogestion“ ».
Ironie du sort, ce n’est que lorsque Michel Rocard entre à Matignon qu’il entre enfin au gouvernement. S’agissant de Lionel Jospin, il ne s’entendit jamais avec lui alors même qu’il partagea avec lui la perspective de l’unité durable de la gauche sur la base d’une nouvelle synthèse politique.
Mais comme le souligne Emmanuel Maurel, on ne saurait résumer Poperen à éternel minoritaire. C’est autre chose. Un homme de gauche qui a la culture de l’unité chevillée au corps. Un intellectuel qui a la passion des confrontations idéologiques qui va trancher de plus en plus avec la coloration technocratique grandissante de la masse des dirigeants socialistes. Aujourd’hui seuls ses anciens compagnons de route oseraient réfléchir en colloque à la modernité de Poperen ! Et pourtant…
L’ancien fondateur de Tribune du communisme, parrain politique de Jean-Marc Ayrault et complice de Colette Audry rêvait d’un grand parti social-démocrate à la française avec un lien organique avec le mouvement social. En 1981, il fut l'un des rares à garder la tête froide. Pour lui, pas d'ambiguïté, il s'agissait de gouverner de compromis en compromis qui soient le plus favorable possible Français. C'est pourquoi par exemple, il était prêt à assumer la « parenthèse » de 1983 à condition que les salariés obtiennent des contreparties.
Parmi ceux qui se revendiquent de sa pensée aujourd’hui, il y a les animateurs du mensuel Parti pris qui continue un combat d’idée que les anciens lecteurs de Vu de gauche suivaient avec attention dans les années 90.
À la lecture de ce petit livre, on voudrait imaginer ce qu’aurait fait ce grand homme à l’heure des choix entre un réformisme radical et un néo-marxisme desséché et sans autres perspectives que celle de se survivre à lui-même. Personne ne pouvant faire parler les morts, on peut au moins retenir de lui que la force d’un militant de gauche obéit à deux principes : la fidélité à ses convictions que l’on ne doit jamais soustraire à l’épreuve des faits. Aujourd’hui l’enseignement de Poperen est pour tous les socialistes et il dépasse de loin et de haut les postures puisqu’il s’intègre à notre code génétique : l’unité et le combat pour une social-démocratie qui défende par le meilleur compromis possible les intérêts du salariat.
Emmanuel Maurel, Jean Poperen – une vie à gauche – L’Encyclopédie du socialisme, éditions Bruno Leprince. 2005 (7,5 euros)
J'ai connu Emmanuel il y a une douzaine d'années dans les rangs du Manifeste contre le FN. Les "poppies" et nous avons milité ensemble au MJS. Je garde une grande tendresse pour eux (Johanna, les Emmanuel, Laurent, Claire, Nowfel, Etienne, Nicolas ou Aurélien) ils avaient tous pour être de purs technos, eh bien pas du tout. Comme dit Edwy Plenel à chacune de ses émissions "Lisez ce livre !".
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