J’ai souvent apprécié la liberté et l’énergie de Jean-François Kahn qui se plaît souvent à détonner dans le concert souvent unanime des « observateurs », même si on peut objecter que parfois, il faut trouver les raisons de se démarquer...
La couverture du numéro 399 de Marianne s’interrogeait « le PS vire-t-il à droite ? » En lisant l’article on est en droite de se demander si les journalistes croient-ils encore à la politique et à la force des idées. Jj’ai été surpris du caractère nihiliste la prose de Kahn. Je lui accorde de ne pas se penser comme un relais d’une opinion de gauche partisane s’il ne veut pas choisir entre la gauche et la droite. Qu’il se pose plus souvent en procureur qu’en avocat sur nombre de grands sujets c’est son problème. Que pour lui le spectacle et l’Histoire du monde ne soit que reniements, trahisons, faux-semblants et que tous les hommes politiques de gauche sont en réalité de droite et que les hommes de droite des hommes d’extrême droite qui se dissimulent, mais que son journal est le premier à démasquer, que toute expression culturelle est le début du communautarisme ou que les réformes etc. Tout ça c’est aussi son choix. Il reste que l’anticonformisme a aussi sa pensée unique et son « politiquement correct ».
Ne lui déplaise, il existe autre chose des observateurs ou des commentateurs. Ca s’appelle des militants. C’est-à-dire de drôles d’individus qui ont la naïveté de croire que les peuples peuvent agir sur leur destin et que la société bouge quand des gens décident que tout n’est pas fatalité et qu’une idée, si elle est juste, peut devenir demain un acte politique qui change la vie. Ces OVNI osent croire qu’on ne change pas le cours d’un match en restant dans les tribunes et que la République est en danger quand les citoyens ne se contentent que de voter et rien d’autre. Ni plus intelligents ni plus bêtes que d’autres, les militants prétendent se mêler de ce qui nous regarde tous : la marche du monde. Bref, il n’y a pas des révolutionnaires utopistes ou des capitulards. Il y a des gens qui mettent les mains dans le cambouis et qui mouillent la chemise. Qui peut croire que derrière les danses des éléphants au rythme des courbes de sondages il n’existe pas, dans l’anonymat du militantisme quotidien, des centaines de milliers de militants convaincus, et plus encore d’électeurs.
L’article de Jean-François Kahn est bien dans cette tendance nihiliste qui pousse à déconsidérer la politique quoiqu’il en sorte. Quant à son développement pour savoir à quelle social-démocratie se référer pour la mise à jour de nos idées, laisse accroire que finalement, toute son histoire n’est qu’une longue trahison. Si la social-démocratie tournait le dos à nos racines, on l’accuserait avec le même entrain de se renier. Mais dès lors qu’elle se ressource il semble qu’elle ait tout autant tort. Négationnistes ou conservateurs, voilà le carcan que vous nous dressez. A lire le rappel qui suit, la social-démocratie fut donc belliciste et nationaliste ; elle fit sans le vouloir la courte échelle au fascisme, fit élire Pétain, elle fut impérialiste, tortionnaire, atlantiste, perdante aux élections, alliée de George W. Bush, complice de Sharon et de Berlusconi ou recycleuse de staliniens ! Bilan globalement négatif non ? Il ne manque plus qu’un génocide et notre compte sera bon !
Il est vrai que la social-démocratie fut le parti du « renégat Kautsky » et que les sociaux-fascistes furent une volaille qu’il fallait plumer. Mais voilà cette forme de négation-là parce qu’elle est falsificatrice devient inopérante car vous ne pouvez pas soutenir deux minutes que la social-démocratie rata tous les rendez-vous de l’Histoire. Notre erreur ? N’avoir jamais cédé aux postures faciles de la radicalité qui permettent de revendiquer sans jamais appliquer. Les congés payés qui permettent à certains censeurs de partir en vacances dans le Lubéron ou ailleurs, les 35 heures qui permettent à leurs employés de mieux voir grandir leurs enfants, l’abolition de la peine de mort qui réconcilie la France à la tradition des droits de l’Homme qui la fondèrent, les lois Auroux grâce auxquelles dans les entreprises les salariés ont voie au chapitre... Toutes ces conquêtes sociales ne sont pas des détails de l’Histoire ! L’Affaire Dreyfus, la lutte contre le fascisme, les victimes des traques staliniennes et fascistes en Allemagne ou en Espagne, la Résistance, les déportés, le procès de Riom, l’anti-colonialisme ou la pacification de la Nouvelle-Calédonie, tout ça dans les poubelles de l’Histoire ! Matteotti ou Allende morts pour rien !
On a parfois l’impression que les Français font leurs cette sentence de l’évêque qui en baptisant Clovis « adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ». La social-démocratie selon Kahn vaut qu’on s’y attarde puisque finalement elle a été « moins criminelle » que les autres idéologies. Entre le fascisme et le stalinisme, finalement, c’est ce qu’il y a de moins pire ou de plus inoffensif. À force de tout relativiser, de tout banaliser ou de traquer le fascisme partout, on finit par accréditer l’idée que faire de la politique c’est perdre son temps, que les militants sont des gens abusés et que la moindre idée à gauche n’est en fait jamais de gauche. Au mieux elle n’invente rien, au pire elle est de droite et si elle émerge, c’est en fait parce que le cerveau qui l’a conçu est en réalité candidat à l’élection présidentielle !
Certes tout n’est pas rose dans la social-démocratie. De là à faire « Pomme Z » sur le chapitre Histoire et Héritage de la gauche... Peut-être a-t-on tort de vouloir dépasser les discours et de vouloir passer aux actes, mais dans cette erreur-là, persister et récidiver sont des devoirs.
C’est à se demander si « JFK » n’appelle pas à renoncer à la citoyenneté et à cesser d’occuper son cerveau. Je doute cependant que son souhait soit qu’ils soient disponibles pour Coca Cola !...
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