N’en déplaise à ceux qui veulent déjà tirer un trait sur un congrès dont ils n’ont pas saisi les enjeux : remettre sur les rails un parti qui doit trouver la patience de se reconstruire méthodiquement, au rythme qu’il choisira, loin des injonctions des réactions parisiennes trop fainéantes pour lire les motions et pour suivre les débats dans les sections – loin des sommations de ceux qui ne militent pas plus de 240 signes et pour lesquels, le compte n’y est jamais…
Durant le quinquennat, les disparitions de Pierre Mauroy, Michel Rocard et Henri Emmanuelli se sont ajoutées à d’autres événements qui ont fait basculer le Parti socialiste dans une autre période. Il n’y a plus d’éléphants, plus de vrais courants – faute de transmission et de vraies orientations politiques assumées - et, c’est la bonne nouvelle, plus de présidentiable. Plus d’envie chez beaucoup des nôtres et l’isolement pour ceux qui veulent encore y croire et se battre…
Pourtant, le renouvellement a partiellement eu lieu : la quasi totalité des dirigeants actuels, sont des quadras. Ce n’était pas arrivé depuis 25 ans. Depuis Martine Aubry, le rajeunissement des cadres est devenu une réalité. Harlem Désir fut lui-même un des rares leaders du PS d’Epinay issu d’un parcours strictement militant et Jean-Christophe Cambadélis fut un « passeur » qui a associé une nouvelle génération de jeunes dirigeants à la direction du PS. Le bruit médiatique a voilé cette histoire là, mais il ne faut pas omettre de la voir.
La gauche française est profondément divisée et durement affaiblie. Le courant écologiste dont les idées n’ont jamais été aussi centrales est au bord de l’autodissolution. Le Parti communiste peine à trouver un second souffle notamment depuis qu’il est attaqué par son ancien candidat à la présidentielle de 2012, Jean-Luc Mélenchon ne travaille pas à l’unité de la gauche sauf si elle se fait autour de lui.
S’agissant du Parti socialiste, pour la première fois dans l’Histoire politique du pays, ceux qui ont joué un rôle de premier plan, comme Manuel Valls et Benoît Hamon, l’un, énergique Premier ministre, l’autre, imaginatif candidat à l’élection présidentielle, ont abandonné le Parti socialiste après leurs échecs respectifs. L’un comme l’autre portent une responsabilité dans l’échec du quinquennat et l’absence de lisibilité de la gauche au pouvoir. Leur refus de trouver des compromis et leur intransigeance sans mesure fut comme deux trains lancés à toute vitesse l’un contre l’autre, écrasant dans le fracas de leur collision le PS, la gauche et le pays. Durant le quinquennat nous avons combien les socialistes ne s’aimaient pas et à quel point ils ne savaient plus vivre ensemble.
Si on veut que la gauche reste le moteur de la transformation de la société, elle doit reconnaître ses erreurs : trop de sectarisme, trop de conservatismes. On ne peut rassembler ni la gauche ni la France si on commence par diviser les socialistes. Mais l’unité, la vraie, n’existe que dans un mouvement clair dans lequel on sait surmonter les divergences. Il faut réapprendre à le faire. Cela demande à la fois de l’humilité et de la grandeur.
Redevenu un parti modeste, malgré sa grande histoire, le Parti socialiste doit tout revoir, ce qui ne veut pas dire tout jeter et il doit se mettre au travail.
"Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où aller" écrivait Sénèque. Ce congrès et la période qui suit seront des rendez-vous manqués si on ne fixe pas clairement les buts.
La situation est grave, mais pas désespérée
Beaucoup de diagnostics et d’analyses circulent pour décrire les raisons et l’état de la gauche en général et du PS en particulier. Mais on ne gagne pas un combat sur un constat.
Lors d’une récente audition d’experts consacrée à la transition numérique et écologique, l'un d'eux a estimé que le Programme présidentielle socialiste de 2017 était en avance sur son temps. C’est une preuve que notre parti sait rester fidèle à son but de transformer la société. Mais il ne suffit pas d’avoir raison avant les autres, il faut convaincre les autres pour réaliser nous-mêmes ce que nous proposons. Dans beaucoup de cas, le Parti n’applique pas les décisions qu’il prend, même quand ce sont les bonnes !
Pour réussir le congrès, il ne s'agit pas seulement de ne pas trop répéter les figures imposées, il s'agit aussi, de prendre en compte, non seulement des questions idéologiques ou programmatiques en compte, mais aussi des questions d'attitude et de mesurer l'emprise d'un contexte nouveau, celui d'un individualisme accru.
Après une défaite, le traumatisme pousse à vouloir tout changer sans discernement. Mais il ne faut pas toujours faire du passé table rase. Il ne faut pas non plus commettre une erreur tout aussi classique : avoir l’obsession de la stabilité et du maintien des équilibres en croyant qu’il suffit d’avoir la tête froide et de résister aux événements et d’attendre patiemment que la situation vienne à nous.
Pour une révolution des esprits et des comportements
La crise qui frappe le PS n’est pas que politique. Ce n’est pas seulement un problème de projet ou d’action gouvernemental qui aurait échoué. Il y a aussi un changement radical d’attitude et de comportement qu’on a observé et subi depuis 2012.
Le sens du collectif et ce qu’on appelle ailleurs « l’esprit de corps » n’existent plus. A côté des grandes trahisons qu’on a vues, il y a aussi la manière dont le « PS bashing » est fortement relayé en interne à tous les niveaux. Pas une semaine sans que ces petites phrases distillées au sommet aux expressions publiques de cadres de base sur les réseaux sociaux, qui dépensent plus d’énergie à taper sur leur parti qu’à en diffuser les positions, même quand ils les approuvent, il y a eu une forme de masochisme qui a consisté à se plaindre, à donner plus d’importance aux loupés, aux couacs, qu’aux réussites ; de sorte qu’à la fin, dans la bataille pour le récit du quinquennat, ce sont les détracteurs qui l’ont emporté, faute de combattants.
En politique comme ailleurs, l’humilité vaut toujours mieux que l’arrogance. Comme disait récemment Guillaume Bachelay : "ce n'est pas parce qu'on ne vient pas dans les réunions que celles-ci ne se tiennent pas et ce n'est pas parce qu'on dédaigne de lire les textes, que ceux-ci n'existent pas". De même, venir créer son moment politique au sein de ses camarades est toujours plus productif que dans un prétoire... Surtout quand on perd.
Si nous voulons que le PS soit respecté et écouté, il faut cesser de nous détester nous-mêmes.
Il est de toutes façons difficile de remodeler un parti aussi chargé d’histoire dans un contexte de dépolitisation avancée. Notamment dans une époque frappée par deux maux qui sont devenues des maladies politiques : « l’empêchisme » et le « dégagisme ». Les petits jeux tactiques ont depuis longtemps pris le pas sur une vision stratégique et le « tout sauf », le « parce que je le vaut bien » ou le « si ça ne peut pas être moi, ce ne sera pas lui » morcellent chaque fois un peu plus une formation politique a besoin d’unité et de cohésion. La politique ayant horreur du vide, on n’assure pas l’avenir pas par l’élimination, mais par la construction…
Il faut aussi retrouver la culture du débat et le courage de les conclure : discuter c’est accepter d’être contredit. Une fois qu’un compromis a été trouvé, il ne faut pas s’en émanciper sous prétexte que le compte n’y est pas, mais le défendre pour faire avancer la maison commune.
Le Parti est encore utile et le dénigrer tout en ne proposant rien est futile
"Le parti appartient aux militants" entend-on. Pas faux, mais qu’est-ce qu’un militant ? C’est un adhérent engagé qui donne de son temps à son parti. Il le défend, il en assure la promotion. Et qu'est-ce qu'on parti ? C'est un mouvement politique d’éducation, d’organisation, de mobilisation et de transformation. S’il joue un rôle essentiel dans la conquête du pouvoir par sa participation aux élections, celles-ci ne sont pas le but suprême. Une victoire électorale, on l’a vu après 2012, ne précède pas une domination idéologique, indispensable pour gouverner dans la durée et transformer en profondeur.
Le Parti socialiste ne peut pas être indifférent aux phénomènes qui ont donné naissances à de nouvelles formations politiques. On a beau avoir proclamé la fin des partis, on n’a pas encore inventé d’autres formes démocratiques. Le parti présidentiel est une startup qui pratique le centralisme technocratique et la FI est, selon son fondateur un mouvement qui prétend donner le primat au « collectif » sur la démocratie.
Il faut avoir une réflexion et des décisions sur la manière de restaurer, non pas la discipline interne, comme « propagande », le terme n’est plus d’époque, mais une exigence de responsabilité :
- Quand on occupe une fonction, surtout si on l’a réclamée, on l’assume fidèlement et on rend des comptes car l’inaction ou le farniente affaiblissent l’ensemble ;
- Quand le Parti débat et adopte une position, faire entendre sa différence nourrit l’impression que le débat n’est tranché et cela ajoute à la confusion ;
- Quand le Parti ou un de ses dirigeants s’exprimer, c’est un devoir de relayer ces expressions, même si on ne les partage pas car les positions individuelles sont moins importantes que l’impérieuse nécessité de renforcer la position centrale du PS dans la gauche, car sans le PS, la gauche, même aujourd’hui, n’est pas grand chose ;
C’est en respectant mieux ce bien commun qu’on lui donne plus de visibilité et plus de lisibilité.
Pour que chacun comprenne bien que le PS ne peut plus se donner les moyens d’un dilettantisme qui lui a été fatal, la prochaine direction devra être plus exigeante.
La démocratie moderne à l’épreuve des réseaux sociaux
On l'a déjà commenté ici, mais dans le congrès, il faut y revenir et souhaiter que la prochaine direction sache orienter le mouvement vers les bonnes pratiques. La situation actuelle du parti est aussi le résultat d’une évolution des comportements qui nous dépasse et qui touche toute la société, l’omniprésence des réseaux sociaux dans notre vie. Nous avons collectivement « subi » une évolution sans que nous réussissions à réfléchir aux profondes modifications qu’elle a imposées aux organisations politiques et aux relations entre les militants, les dirigeants ou les électeurs avec celles-ci.
On peut les identifier ainsi : la verticalité a été renversée par l’horizontalité sans que l’on parvienne à résoudre les contradictions qui en émanent s’agissant non pas de la prise de décision – la demande militante est toujours de la rendre plus collective – mais des moyens d’appliquer cette décision, de s’y tenir et d’être capable à la fois d’attendre les buts que l’on se fixe et d’évaluer les raisons de nos échecs en la matière. Un débat débouche forcément sur une position ou une décision qui engagent. Sinon, c’est un bavardage.
Si les partis meurent longtemps, on n’a pas encore trouvé d’autres formes d’organisation politiques pour se substituer à eux. Tout mouvement sécrète sa propre direction, ses logiques d’appareil ou de reproduction…
Tout garder ou tout jeter ?
Le traumatisme de la défaite incite souvent à « tout changer ». Mais bien souvent, c’est l’oisiveté ou l’impressionnisme qui ont eu raison de notre détermination. Bien souvent, nous n’avons même pas livré bataille, or si on veut changer, il faut affronter la vérité et croire ce que changement est possible. Pour cela, il faut aussi tourner le dos aux solférinologues, cesser les petites phrases et ces attitudes souvent blasées face aux questions essentielles.
Le socle commun de nos valeurs est à jour. Tous les premiers secrétaires depuis 2007 ont pris au sérieux l’importance d’une rénovation permanente. Mais trop souvent, comme nous l’avons dit plus haut une petite phrase occulte un texte issu d’une élaboration collective. Ces textes, qu’il s’agisse de la Revue socialiste, des notes, des rapports passent inaperçus et malgré l’importante d’une production intellectuelle de qualité, il est très facile à n’importe qui de décréter avec aplomb que « le PS n’a pas de position ».
Réformer l’organisation et l’entreprise « Parti socialiste »
Pour la première fois depuis 25 ans, notre congrès se tient dans une situation de faiblesse du Parti qui touche non seulement nos bases électorales ou militantes, mais aussi la force de travail que sont les permanents dans les fédérations et au siège dont la vente a été décidée. C’est la fin d’une époque, mais aussi le début d’une nouvelle. La nouvelle direction politique doit accorder plus de soin à la gestion des ressources. Tirant les leçons, nous devons augmenter notre niveau de jeu. Être à la hauteur des buts que nous nous fixons revient à nous en donner les moyens et à évaluer à chaque étape nos échecs, en comprendre les raisons et s’attaquer aux causes.
Il faudrait proposons qu’au lendemain du congrès, une réflexion sur la réorganisation des ressources humaines du parti permette d’améliorer les méthodes de travail. Il faudra y associer tous les permanents (Siège et fédérations), les collaborateurs des groupes d’élus et les dirigeants politiques pour augmenter la force de frappe de ceux et celles qui, à la différence des militants, vendent leur force de travail à l’organisation dont ils défendent les valeurs. Nous devons renforcer les modules de formation continue pour nos permanents, nos dirigeants et nos militants. En un mot, il faut poursuivre la professionnalisation sans nourrir la dépolitisation tout en limitant la bureaucratie.
En effet, si on attend d’un permanent politique qu’il soit professionnel et concerné par le travail politique au sein du Parti, cela ne peut se faire avec une direction politique au-dessus de lui moins impliquée.
Voilà pour aujourd'hui. Prochaine épisode : "un nouvel internationalisme".
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