Une élection qui en cache d’autres
Le 4 novembre, les Américains n’élisent pas seulement leur nouveau président. Dans tout le pays, il y a aussi d’autres élections importantes ainsi que des référendums locaux.
Dans onze États, on procédera à l’élection du gouverneur pour un mandat de quatre ans. A l’issue des élections de 2006, la majorité des États étaient dirigées par des gouverneurs démocrates avec notamment les victoires d’Eliot Spitzer à New York et Deval Patrick, le premier noir gouverneur dans le Massachussetts. Le 4 novembre, on renouvellera le poste de gouverneur en Caroline du Nord, dans le Dakota du Nord, le Delaware, l’Indiana, le Missouri, le Montana – dont le gouverneur Brian Schweitzer, fit un discours très remarqué à la Convention de Denver, le New Hampshire, l’Utah, le Vermont, la Virginie-Occidentale et l’Etat de Washington. Sur les onze gouverneurs sortants, il y a six démocrates dont deux femmes et cinq républicains.
Un tiers du Sénat sera également renouvelé. Trente-six sièges sont en jeu dans trente-trois
Les sénateurs sont soumis au mandat unique. Le président du Sénat est le vice-président ex officio. On le distingue du président pro tempore, celui qui exerce la fonction et qui est issu de la majorité de cette assemblée, aujourd’hui démocrate. Il s’agit de Robert C. Byrd. États. Rappelons que le mandat est de six ans.
Il y actuellement 49 sénateurs républicains, 49 sénateurs démocrates et deux indépendants qui votent avec les démocrates.
Ces derniers comptent atteindre soixante sièges. Ce qui empêcherait l'opposition d'avoir recours la méthode de l'obstruction systématique, une procédure qui permet de bloquer ou de retarder un vote sur une mesure ou une nomination. Douze démocrates se représentent dont Biden. Il y a 23 républicains sortants dont cinq qui ne se représentent pas. Dans beaucoup de cas, leur siège risque de basculer en faveur de démocrates.
La totalité de la Chambre des représentants sera renouvelée puisque le mandat est de deux ans.
Actuellement, y siègent 235 démocrates et 199 républicains. Plus de 24 républicains ne se représentent pas.
Enfin, dans trente-six États, on votera sur plus d’une centaine de propositions qui sont autant de référendums locaux sur des questions politiques d’importance variées. La question de la fin de vie dans l’Etat de Washington – déjà en vigueur dans l’Oregon voisin, l’adoption de l’anglais comme seule langue officielle dans les actes gouvernementaux dans le Missouri, le paiement des enseignants au mérite dans l’Oregon, en fonction de leurs performances, le financement d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Los Angeles et San Francisco. Dans cette ville, on votera aussi sur la dépénalisation de la prostitution. En Californie, il y aura aussi un référendum sur la suppression du mariage gay.
L’enjeu des élections
L’enjeu des élections américaines est multiple. Il s’agit de conforter la majorité démocrate dans les deux chambres. Si les trois branches (exécutive, législative et judiciaire) étaient gouvernées par des démocrates, la marge de manœuvre d’une administration Obama sera plus grande que pour Bill Clinton. C’est d’ailleurs un des thèmes de campagne des Républicains qui disent qu’il ne faut pas qu’Obama ait tous les pouvoirs. Et comme pour accentuer le sentiment d’une défaite annoncée, on a entendu des Républicains demander à leur Parti de trouver plus de fonds pour financer la campagne pour les élections au Sénat…
Le caractère historique de cette campagne réside dans le fait qu’en dehors du pays, elle jouit d’une médiatisation sans précédent. Dans la première séquence, celle de la primaire, la popularité des deux principaux candidats démocrates a beaucoup joué notamment dans la mobilisation de l’électorat démocrate. Tout était possible puisqu’il n’y avait aucun sortant et que tout le souci des Républicains était pouvoir incarner une alternative à Bush pour ne pas donner le sentiment de demander un « troisième mandat » au pays.
Bien sûr, il s’agit pour les Etats-Unis de tourner la page de l’après-Bush. Après huit années passées à la Maison blanche, le pays traverse une crise économique et financière sans précédent depuis 1929, il s’est ensablé dans deux conflits lointains qui paraissent sans fin, l’Afghanistan et l’Irak. Bien que le pays eût bénéficié de la solidarité internationale après les attentats du 11 septembre 2001, le cours idéologique pris par George W. Bush, sa « croisade » contre « l’Axe du mal » ont non seulement détourné l’attention des Américains de la réalité du problème sur le plan extérieur et de leurs problèmes sur le plan intérieur, mais en plus, il a coûté la vie à des milliers de soldats américains, dans une guerre qui a été engagée sur des allégations fausses. D’ailleurs le soutien de l’ancien Secrétaire d’état, le général Colin Powell à Barack Obama est un signe extrême lourd de sens.
Une campagne innovante
La scène politique américaine est souvent le théâtre à la fois de toutes les excentricités et de toutes les innovations. La première caractéristique de la campagne présidentielle américaine est, à n’en pas douter, son coût. La masse d’argent récoltée ici et dépensée là bat tous les records et les records sont eux-mêmes battus par Obama lui-même avec plus de 600 millions de dollars de fonds récoltés depuis le début de sa campagne. Ce qui représente plus que la somme des fonds privés pour la présidentielle précédente. On pense que le coût total de la campagne présidentielle dépassera deux milliards de dollars, 5 avec les autres élections qui doivent avoir lieu le 4 novembre. Du jamais vu.
La campagne d’Obama est essentiellement financée par les donations (plus de trois millions de donateurs) puisqu’il a refusé tout financement public. Du coup, ses dépenses ne sont pas plafonnées. McCain, lui, doit se contenter du financement public à hauteur de 84 millions de dollars - ce qu’Obama a dépensé en pubs sur les deux premières semaines d’octobre - et de 72 millions levés par le Parti républicain. Cette présence dans les médias se constate aussi bien sur des chaînes animalières ou sportives que sur des jeux vidéos.
Le film campagne de trente minutes diffusé la semaine dernière a coûté trois millions de dollars.
L’opulence financière d’Obama lui a permis à sa guise d’opter pour des messages de genres divers là où McCain a essentiellement diffusé dans la dernière période des pubs négatives.
La masse salariale pour les démocrates (bénévoles et salariés pour la campagne) représente 2,3 millions de dollars, le double des rivaux républicains, même si le bugdet de Palin en vêtements et en maquillage a défrayé la chronique.
Depuis la campagne de Dean lors de la primaire de 2004 où l’on avait vu pour la première fois une utilisation des ressources de l’internet, les possibilités de mettre en réseaux des partisans qui ne se seraient jamais rencontrés, la campagne d’Obama a permis de réduire virtuellement la distance entre le candidat, son équipe et les internautes. La jeunesse d’Obama en fait un candidat de l’âge du web contrairement à McCain. Cette spécificité a joué dans l’importance de la mobilisation lors des caucus.
Barack Obama a finalement remporté la primaire alors même que dans un premier temps, même le Super Tuesday n’avait pas permis de départager les candidats démocrates. Hillary Clinton a fini par reconnaître la victoire de son rival et au lieu d’avoir à faire fonctionner, le système compliqué et contesté des super-délégués dans la Convention, elle a fait acclamer son rival à Denver. Fin août, on avait donc déjà franchi le seuil de l’Histoire. 40 ans après l’assassinat de King et de Bob Kennedy, le premier candidat « noir » à l’élection présidentielle américaine était lui-même d’un genre nouveau. Dans la campagne, Obama, a beaucoup parlé de son histoire, comme d’une « success story » histoire de montrer, que, de son père kenyan, mais absent, à sa grand-mère, blanche, au chevet de laquelle il n’hésita pas à se rendre – interrompant sa campagne – il représentait bien ce pays de mélanges, de difficultés sociales et d’opportunités. Pour le coup, le vote « noir » ne lui était pas automatiquement acquis. Il n’a rien à voir avec la génération de dirigeants issus du mouvement des droits civiques.
Du côté des Républicains, John McCain s’est très tôt imposé comme le candidat. Cet homme qui a succédé à Barry Goldwater au Sénat pour l’Arizona, est plutôt « centriste » sur certains points, au risque, c’est le revers de la médaille, de rebuter les franges les plus conservatrices de l’électorat républicain. Vétéran de la guerre du Vietnam, il continue d’utiliser ce registre militaire dans ses discours. McCain peut compter sur le profond conservatisme du pays, mais il a dû trouver un positionnement suffisamment distant à l’égard de l’Administration sortante et notamment du clan Bush qui lui a toujours été hostile. Si Obama a le soutien de Powell et des gens les plus en vue à Hollywood, McCain a, lui, le soutien de Schwarkopf, Schwarzenegger, Stallone et Clint Eastwood. Si Obama a séduit même une partie de la classe politique française notamment à droite, aucun dirigeant politique de droite en France ne se réclame de lui. Sauf quelques jeunes à l’UMP…
Le choix de sa colistière a surpris. En misant sur la gouverneur de l’Alaska, Sarah Palin, McCain a tenté de rajeuner son style – il a soixante-douze ans, mais les observateurs se demandent si Palin est qualifiée pour diriger le pays en cas de carence ou de décès du Président… Palin était attendue par les médias sur ses capacités politiques, sensées reléguer au second plan son image d’ex miss de beauté, élue locale soupçonnée de gestion douteuse. Sur le fond, Palin est plus conservatrice que McCain. Elle est membre de la NRA (National rifle association, le lobby des armes à feu), anti-avortement, favorable à la peine de mort et hostile au mariage entre personnes de même sexe.
Quels projets politiques pour quel « agenda » ?
Les observateurs disaient que les questions internationales pèseraient moins qu’on ne le souhaite ou qu’on ne le dit sur le vote des citoyens américains qui sont d’ailleurs, traditionnellement, très nombreux à s’abstenir. C’est surtout la situation économique qui est déterminante comme toujours. Or, la crise financière s’est invitée dans la campagne. Contrairement à la France où le clivage entre la droite et la gauche est structurant et structuré sur les questions sociales et économiques et un peu moins sur le plan institutionnel, les deux partis dominants aux Etats-Unis « clivent » plus sur le rôle de l’Etat fédéral et sur les questions sociales. Ils ont choisi la stratégie de ce qu’on aurait appelé ici « l’Union sacrée », Obama a soutenu le plan Bush et l’essentiel de la bataille s’est joué dans le cadre du Congrès.
Le programme politique de Barack Obama existe, malgré le fait qu’il a été souvent réduit à ses slogans de campagnes et ses formules rhétoriques. Le candidat démocrate se veut pour beaucoup un président pour la classe moyenne et les classes populaires. Il a développé ses principales propositions économiques devant des ouvriers.
Obama doit faire face à une situation économique et sociale difficile pour des millions de foyers américains. Il faut ajouter à cela les questions d’éducation et de santé.
Plus de deux millions et demi de personnes seront expulsées de leur logement en 2008. Il propose d’investir dix milliards de dollars pour les aider à faire face à cette situation.
Le coût de l'éducation reste très élevé puisqu’il faut compter environ 25 000 euros par an pour une bonne université. Les démocrates ont un plan d'aide aux étudiants.
Plus de quarante millions d'américains n'ont pas d’assurance-santé. Le candidat démocrate veut investir 65 milliards pour les plus pauvres.
La relance de l’économie passe aussi par des allègements fiscaux. Environ mille dollars par familles ainsi que des crédits d’impôts pour les épargnants. Obama a promis de réduire les impôts de 95 % des Américains et de s’attaquer aux avantages fiscaux des plus riches.
Le candidat démocrate prévoit de financer les infrastructures et la recherche à hauteur de soixante milliards sur les dix ans qui viennent. De plus, quinze milliards seront consacrés aux énergies alternatives. Obama veut taxer les délocalisations, mieux garantir l’intérêt des travailleurs et de l’environnement dans les accords de libre échange.
L'ensemble de son programme coûtera 140 milliards par an.
McCain est plus souple de Bush sur les questions énergétiques. Il veut renforcer l’indépendance énergétique de son pays. Il veut augmenter la concurrence sur la santé pour répondre aux coûts élevés pour se soigner. Il veut relancer la croissance par la libre concurrence. L’essentiel de ses propositions économiques repose sur des baisses d’impôts. Les deux candidats sont en faveur de la peine de mort.
En matière de politique étrangère, John McCain reste, pour beaucoup sur les options classiques des Républicains. « Assurer la sécurité du Monde libre » et « défendre la démocratie », sans pour autant fermer Guantanamo… Il veut élargir le G8 aux pays émergents et avoir des accords de libre échange avec la Syrie ou tout en ne considérant pas la Russie comme une démocratie. Les Républicains considèrent avoir gagné en Irak, mais dans le même temps, ils jugent nécessaire le maintien des troupes. McCain veut, pour l’Afghanistan s’inspirer de la méthode qui a été appliquée en Irak avec à la clé une augmentation du contingent puisqu’il y a eu là-bas deux fois plus de morts qu’en Irak.
John McCain veut élargir l’OTAN à tous les pays qui le veulent pour peu qu’ils adhèrent au libre-échange et à la démocratie.
Obama envisage un retrait des troupes américaines d’Irak sur un calendrier qui correspond aux souhaits du gouvernement irakien. Il veut aussi que les Etats-Unis soient plus présents dans la résolution des conflits en Afrique.
Les deux candidats ont promis de fermer Guantanamo. La base américaine est située à Cuba, un pays sous embargo. Le candidat républicain attend de voir des signes de démocratisation du pays pour changer de politique à son égard. Le candidat démocrate veut assouplir les conditions de voyage des familles et d’envoi d’argent. Il est prêt à rencontrer Raul Castro sans conditions et à alléger l’embargo s’il y a des signes de démocratisation significatifs.
Si McCain continue de voir dans l’Iran, une menace, Obama est prêt au dialogue, notant que les exportations américaines vers ce pays ont augmenté sous l’administration Bush.
A ce stade, on peut en conclure sans nul doute que le style changera à la Maison blanche. En cas de victoire de McCain, les Républicains devront compter avec une majorité démocrate au Congrès. Il faudra donner le change avec les années Bush alors que sur le fond, il n’y a pas de divergences fondamentales. L’Obamania pousse certains à imaginer le 4 novembre comme un Grand soir alors que les intérêts du pays resteront sensiblement les mêmes.
Une victoire de McCain reste possible même si les sondages sont favorables à Obama. On a évoqué le « syndrome Bradley » qui fait qu’en dépit d’une avance dans les intentions de vote, le candidat noir soit battu dans les urnes. L’Amérique profonde, une fois encore, détient les clés du vote. Sera-t-elle séduite par la campagne démocrate et les propositions du candidat au point d’en oublier, le temps du vote, sa couleur ?
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